On
avait laissé Wolfgang Flür dans un état de profond ressentiment
lors la publication de "Ich war ein Robot" (J'étais
un robot), un livre qui retraçait la longue période, de
973 à 1987, où il fut un des quatre Kraftwerk,
à la période dorée du groupe. Livre règlement de comptes avec le
duo fondateur Ralf Hütter et Florian Schneider décrit
comme diabolique, sur fond de dépossession de droits d'auteur
et de tirages de couverture à soi. Un bouquin qui laissait à juste
titre amers tous ceux qui avaient dans les années quatre-vingt tracé
volontairement l'autoroute en pleine nuit pour écouter à fond
"Trans Europ Express", "Metropolis", "Spacelab",
"Europe endless" ou "Der Mensch Maschine".
Le
duo répondit à Wolfgang Flür, hurlant à l'infamie, lui consentant
tout au plus un rôle de potiche, sorte de valet exécutant sur scène
leurs partitions. Pourquoi diable le groupe se présentait-il alors
comme un quartet, tant sur scène (où Flür avait son robot) que sur
les pochettes (TEE, Mensch Maschine...). Le genre d'accusation qui
motiverait n'importe quel musicien pour prouver le contraire.
Alors
que depuis quelques années et encore aujourd'hui Kraftwerk ne sait
plus que ressasser ses vieux morceaux, mais remplit les Maisons de la
Culture et les lieux d'art avec un show hors de prix, Flür compose et crée son propre
sillon, s'attachant à forger sa propre identité.
"Eloquence" est une compilation de ses œuvres en solo et
collaborations depuis 2002. Une
electronica somme toute basique où la mélodie tient une grande
place, passant de l'assez métallique ("Axis of envy") à
un jazz-lounge-pop parlé ("Golden light"), le tout parsemé
de références kraftwerkiennes, comme si Flür prenait un malin
plaisir à citer "The robots", "The model", "The
telephone call" ou "Computer world" sans jamais les
imiter, une manière de se désengager du passé tout en
prenant à témoin qu'il en fut un acteur prépondérant.
On
notera l'autobiographique "I was a robot" au mixage
rappelant, un groove hypnotique à la Underworld, voix passée au
vocoder citant l'autobahn, "Cover girl" suite revendiquée de "The
model" à l'ADN à chercher du côté du Yellow Magic Orchestra
et Giorgio Moroder, son riff central piqué à "Pocket
calculator" (le morceau existait déjà sous le titre "Luscious
lady’" (album "Homme beige" 2005), le très catchy
"On the beam" chanté par l'ex Pizzicato Five
Maki Nomiya... "Staying in the shadow" - collaboration avec
Jack Dangers de Meat Beat Manifesto permet d'entendre la voix de
baryton de Flür, mixé à un sample vocal qu'on jurerait sorti de
"Tour de France" (le morceau utilise un EMS 3000, le
vocoder vintage habituel de Kraftwerk)...
Musicalement,
"Eloquence" est assez varié, mais même si
le travail de Wolfgang Flür est inextricablement lié à son groupe
passé, ce n'est plus du Kraftwerk (les inconditionnels de l'époque : à bon entendeur salut !).