Zugzwang

Ursus Minor

par Sophie Chambon le 30/08/2005

Note: 7.0    

Effet de mode, coup médiatique ou réelle réussite, le phénomène Ursus Minor fait jaser dans le mundillo du jazz. Il nous fallait donc écouter l'album de cette nouvelle pléiade…

Présentons d'abord la formation Ursus Minor à laquelle le festival Sons d'Hiver 2003 donna toute sa raison d'être et une scène pour émerger. Quartette ouvert à toutes les combinaisons, cette constellation ("Ursus minor", la "petite ourse" en astronomie) raconte une fiction musicale dans une mixité de genres, de couleurs, de langues. Dans la version élargie pour ce premier opus, concocté par Jean Rochard, aventurier-producteur de Minneapolis, des rappeurs français et américains (M1, Boots, Umi, D'de Kabal, Spike) une chanteuse soul Ada et le guitariste vétéran, Jeff Beck, ex Yardbirds, héros du jazz rock ("Wired") se joignent au noyau de base. Celui-ci est composé de Tony Hymas (claviers), que Jean Rochard avait déjà invité dans son autre aventure minneapolisienne avec Michel Portal aux côtés de la rythmique princière, François Corneloup au saxophone-baryton, Jef Lee Johnson aux guitares et Dave King, le batteur de Happy Apple et The Bad Plus.

Le projet de cet album-spectacle (il est conseillé de voir le collectif en action), est de parler du monde actuel, sans oublier certains événements historiques survenus dans la longue histoire de l'exploitation humaine et raciale. D'où la place prépondérante du chant et du rap. Les paroles comptent, dénoncent de terribles exactions, explosent sur tous les fronts, avec la colère déterminée des plus beaux jours du combat pour les Civil Rights aux USA. A cet égard, écouter et lire le texte de "Lists : you gotta remember, we can't forget" !

La musique, si elle recherche une nouvelle orientation, remet moins de choses en cause que le discours, qui en français ou en américain, selon le MC officiant, n'est tout de même plus très novateur. Pour donner plus d'ampleur et de force, la rythmique est prépondérante, avec un batteur surpuissant, très binaire, l'originalité de la seconde basse étant dévolue au baryton comme dans certains big bands d‘antan. La guitare de Jeff Beck et les cordes de Régis Huby adoucissent certains passages, ouvrant des plages de respiration dans certains titres ("Won't stop raining" et "Le soldat rangé").

On dira donc que l'on retient ce que l'on veut de ce chaudron brûlant. C'est l'un des arguments décisifs de ce projet performant : proposer le mélange des styles, la fusion au sens large : peut-on encore parler de jazz, même si certains musiciens ont une culture qui en vient ? Là n'est plus franchement la question. Phénomène représentatif de la musique actuelle, brûlot ou feu de paille, Ursus Minor fera-t-il date ? Il est encore un peu tôt pour le savoir.