C'est sans doute une seconde nature, quand on est un groupe d'Europe centrale et que l'on joue du rock sérieux et tendu, que de porter le poids de l'Histoire et d'avoir des antennes dressées pour sentir l'air du temps - en l'occurrence celui que l'on respire depuis le 24 février dernier... Radical, puissant et lucide, le quatrième disque (depuis "Headache", 2015) des Polonais de Trupa Trupa sonne juste.
Que ce soit dans un registre martial ("Moving", sur laquelle Grzegorz Kwiatkowski aboie des ordres paniqués), agressif (le mur compact de guitares de "Kwietnick") ou vaguement statique et menaçant ("Lines"), il flotte une atmosphère de décomposition psychologique. Souvent concises et construites autour de motifs répétitifs, sans balises couplet-refrain, chaque chanson a une raison d'être et du tranchant (le travail de Wojtek Juchniewicz sur sa basse, saturée, jouée en accords...) Trupa Trupa survole les lignes noise / pop / post punk (la nerveuse "Twitch", on pense à Wire). Le groupe pousse même jusqu'au style stoner rock ("Lit", lourde et catatonique), avec comme chez les américains de Pontiak un retour d'acide Pink Floydien : période "Meddle" (l'orgue de "All and all") ou Syd Barrett sur "Uniforms" - répétition ad lib de la seule phrase "I wanna eat all my uniforms", d'un air tellement insouciant que cela en devient inquiétant.
Comme détachées d'elles-mêmes, et avec un brin de complaisance, "Uselessness","Sick" et "B flat A" se regardent précipiter la fin du disque dans l'abîme. L'auditeur aura peut-être déjà fait un pas de côté pour éviter de sombrer avec lui.