| | | par Sophie Chambon le 10/10/2006
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| Après "Global songs", l'aventure continue pour le trio Résistances. Impliqués dans diverses actions musicales, Bruno Tocanne, Lionel Martin et Benoît Keller poursuivent leur chemin commun et s'inventent de nouveaux horizons, en rouge et noir, comme le rappelle le graphisme de la pochette, en continuité avec les albums précédents.
Onze titres qui disent à leur manière décidée, militante, toujours non violente, que "créer c'est résister", à moins que ce ne soit l'inverse. Si le titre de l'album joue sur plusieurs registres, il n'est peut-être pas inutile de rappeler qu'il fut enregistré en 2005, lors de la révolte des jeunes en banlieue, que suivit un "état d'urgence" avec couvre-feu. C'est par une plainte mêlée d'espoir que commence le disque "Patria de multitudes" chant révolutionnaire des Quilapayun dans le Chili de Salvador Allende. "Abacus" de Paul Motian poursuit la lutte engagée par un dialogue âpre, entre le ténor sauvage de Lionel Martin et la batterie survoltée de Bruno Tocanne. En duo ou en trio, la beauté harmonique a sa place autant que l'emportement convulsif.
Pour son troisième album, le trio continue avec une ferme douceur, à souffler le chaud et le froid, comme dans cette version apaisée, sereine de "El pueblo unido" du chilien Sergio Ortega, artiste engagé sur tous les fronts, avant le tragique coup d'état du 11 septembre 1973. Le final de l'album qui s'achève en un souffle, "Grandola, Vila Morena" de José Afonso est l'hymne de la "Révolution (pacifique) des illets", déclenchée le 25 avril 1974 par de jeunes militaires portugais avec le soutien de la population. La construction des thèmes, si elle demeure classique, met en valeur les mélodies de Lionel Martin, auteur de la plupart des compositions. Dans cette musique qui n'est pas figurative, notre imaginaire participe activement et on aime toujours autant le drumming généreux de Bruno Tocanne, plus que jamais à fleur de peaux, le son incisif de Lionel Martin, sa raucité parfois sauvage, son infinie tendresse dans son hommage à Steve Lacy ("For Steve"). Plus réservé, Benoît Keller n'apparaît pas moins indispensable à amarrer la rythmique du trio, dans des interventions d'une grande finesse ("Army of her").
Ces trois-là se sont trouvés, de toute évidence, leur conversation est un modèle accompli d'équilibre démocratique et citoyen : ces musiciens savent se comprendre en s'écoutant. Ainsi, la circulation vive des idées se conjugue à la liberté de l'improvisation, en imposant certaines contraintes qui donnent à réfléchir : la musique est sous-tendue par le désir permanent de participer au sens. Si la production et la prise de son (de la Buissonne évidemment) révèlent un soin particulier, l'enchaînement des titres se fait avec une lumineuse évidence, prolongeant une recherche jamais assouvie : continuer à raconter une histoire, en musique mais sans paroles, partager la suite ininterrompue de combats et d'engagements quotidiens. Le jazz qui s'entend ainsi est maîtrisé, assumé pleinement, d'un bout à l'autre de cet album qui laisse grande part à la poésie du souffle, et aux coups de cur entre cordes et peaux. |
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