Marines

Tri Yann

par Francois Branchon le 17/07/2004

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Sein 1940
Lest du diable
La complainte de Louis-Marie Jossic


Fin juin 1940 à Londres, le grand Charles avait jasé, "quoi, Sein serait-il le quart de la France ??", étonné de voir cent-trente types - tous les hommes de l'ïle - parmi les six cents qui avaient répondu à son appel du 18, tous embarqués aux cris de "Kertoc'h mervel" (plutôt mourir) et un gros "Frankiz" (liberté) barrant les cirés. Mieux, une légende - la dernière en date d'un pays qui en compte des milliers - veut que les femmes arrachèrent l'île en 1942 à ses fonds marins et la menèrent à la rame jusqu'en Angletterre pour rejoindre leurs maris...

Tri Yann célèbre à sa façon l'actuelle série d'anniversaires protocolaires en adaptant le traditionnel gallois "Llougau Caernafon". "Sein 1940" est une chanson à sens, traçant la ligne directrice de l'album - le concept de l'embarquement et du voyage au long cours -, la mise en lumière d'un fait d'histoire remarquable et méconnu, avec foi et talent, deux éléments que Tri Yann sait encore puiser parfois dans ses tripes. La mélodie traditionnelle galloise offre toutes les variations poignantes convenant aux circonstances (tous les marins de Sein ne revinrent pas) et le discours, au-delà du récit, se politise avec justesse sur le combat du pouvoir central contre la langue bretonne (une obsession chez Tri Yann) : "Parlaient-ils breton, parlaient-ils français ? Peu vous importait alors la question !"... "C'est violence Grands de France que de condamner leur langue au bûcher"..., "Gens de France, retenez bien ce qu'ont fait pour vous les hommes de Sein". Bien vu.

Elle est entourée de deux chansons de marins plutôt entraînantes, la martiale "Whisky, whisky", chanson à boire qui aurait mérité un chant moins "à jeun" (il manque la débauche et les bas-fonds des Pogues) et la pêchue "Lest du diable", du nom donné aux femmes seules qui embarquaient sur les grands voiliers (quelle imagination suggestive pour qualifier la dame !), toutes deux un peu lestées par ces arrangements progressifs qu'on ne trouve plus guère que chez Ange... Les autres titres sont des histoires de bateaux plus anecdotiques, mis à part une deuxième chanson sur l'île de Sein, la très belle "Marie-Jeanne Gabrielle" de Louis Capart et deux évocations de grands mythes des mers, "La complainte de Louis-Marie Jossic" dédiée au bateau-école "Le Bretagne" et "La campagne du Belem de 1902", le grand trois mats qui échappa à l'éruption de la Montagne Pelée.

Enfin, Tri Yann répare une anomalie en créant la version en breton de "The water is wide", standard celtique universellement chanté, en anglais (Joan Baez, Bob Dylan, Brenda Wooton... ) ou en français, Renaud ("La ballade nord irlandaise") et autrefois le grand Graeme Allwright ("La mer est immense"), sur des paroles de Gilles Servat ("Divent an dour"). (Très beau livret).