Ardisson irrite pour son égocentrisme
complaisamment assumé, Ardisson agace pour ce "professionnalismeeee"
qui voudrait qu'on anime un jeu débile (au hasard "Happy hour" de Canal +)
aussi passionnément qu'une finale olympique, Ardisson écœure
surtout pour sa propension à la manipulation : aucune émission en
direct, toutes pré-enregistrées et toutes montées, permettant
toutes les audaces, au hasard, sur une ancienne émission de France
2, ces fausses vraies interruptions de plateaux par des grévistes,
soigneusement "mises en scène" avec l'illusion du direct :
subtil, mais pas forcément très déontologique vis à vis d'un public de
télévision qui ignore en général tout des subtilités de la
post-production.
Mais le fait est qu'Ardisson a aussi le
talent d'inventer des concepts, d'imaginer des angles, de créer du
neuf intelligent, bref d'avoir de bonnes idées - celles dont se
demande comment ne pas y avoir pensé plus tôt - des émissions
d'offre beaucoup plus que de demande, certes irriguées de la dose
trash nécessaire pour tenir l'auditeur en haleine, mais capables de
le scotcher trois heures durant devant son écran, quand un Ruquier
le congestionne. le soule et l'abrutit au bout d'un quart
d'heure.
Ardisson, depuis les années quatre-vingt, a façonné
la télévision française au point d'en laisser des traces
indélébiles dans les mémoires. L'INA résume en 3 Dvd ses
émissions conçues pour France 2 : "Double jeu" (l'arrivée
de Baffie, l'info/intox), "Tout le monde en parle" (ou
comment occuper toute la soirée du samedi) et celle qui couronna
l'animateur, "Lunettes noires pour nuits blanches" à la
fin des années quatre-vingt, celle sur laquelle on préfère s'attarder.
Le générique bien entendu
auto-complaisant et mégalo de "Lunettes" résume à lui
seul le concepteur : au volant d'un cabriolet 404 blanc (sommet du
chic post-Colombo), "l'homme en noir" (identifiant visuel)
arrive au Palace (sommet de la branchitude parisienne) par l'entrée
des artistes (forcément, il y est comme chez lui). L'émission, en
équilibre sur la ligne prescriptrice/suiveuse convoque authentiques
talents et blaireaux détenteurs de la "carte", pour un
contenu hors normes, enfumé, chic et trash (on imagine les saladiers de coke planqués sous les tables), avec musique du moment et invités
alcoolisés qui se lâchent. On doute que le service public se
risquerait aujourd'hui à accueillir une telle émission-cocktail, qui
porte au plus haut le concept cher à Gabriel Matzneff de
"téléspectateur-voyeur".