Le Spencer Davis Group aurait pu rester une anecdote. Gallois déguingandé aux faux airs de Clapton, Spencer Davis a tout du dilettante, du bon vivant, du bon gars. Honnête guitariste et correct chanteur, sans grand don d'écriture, sa carrière semblait vouée à la confidentialité, d'autant qu'en 1965, à 27 ans, il fait déjà figure d'ancêtre pour la marée montante de gamins qui s'emparent d'instruments et montent des groupes. Mais Davis a un coup de génie, il confie le rôle central du sien à Steve Winwood, un minot de 16 ans qu'il a croisé quelques années plus tôt dans un club de jazz de Birmingham, où, du haut de ses douze ans il reprenait Ray Charles dans la formation de son père. Petit gars timide et introverti, excellent guitariste et organiste, fabuleux chanteur, Winwood va assurer la gloire du Spencer Davis Group, en signant ses deux plus gros tubes "I'm a man" et "Gimme some lovin". Coup de génie à double tranchant, car lorsque deux ans plus tard le prodige partira voler de ses propres ailes, le Spencer Davis Group, privé de ses instruments lead, de sa voix et surtout de son âme, retournera à l'ordinaire et s'éteindra à petit feu.
On reproche parfois à Cherry Red de ne pas soigner les éditions de ses Dvd, de se foutre comme de l'an quarante de la post-production. La remarque vaudra pour ce concert enregistré en 1966 à la télévision finlandaise devant un surréaliste petit public d'écoliers très sages et leurs mamans pomponnées, tous gentiment assis et que le blues le plus torride laisse de marbre. Aucune post-prod donc, l'émission est laissée dans sa continuité, avec les intermèdes, les à-côtés, et cela en devient intéressant, vrai, humain. Certes, les chansons et les interviews sont sous-titrées en finlandais, mais on s'en fout, car l'événement est ailleurs : un mini-concert de huit titres, quatre reprises de blues et quatre compos (dont les trois tubes à leur actif en 66, manque juste "Somebody help me" de l'année suivante pour être complet). On a souvent sous-entendu que les jeunes groupes anglais ou américains pouvaient être de piètres musiciens, souvent remplacés en studio (en général par Jimmy Page, qui à l'entendre figurerait sur tous les disques de l'époque)... He bien, pas le Spencer Davis Group de 66 !
Pete York est un batteur de jazz, cela se voit, cela s'entend, Spencer Davis - lorsqu'il le veut bien - peut atteindre le niveau du blues boom anglais d'alors ("Dust my blues"), le bassiste Muff Winwood, lui non plus pas tout jeune swingue de bout en bout, quant à son petit frère Steve, pantalon de Tergal et pull ras-le cou d'étudiant, incapable de sourire et mutique en interview, il se transfigure derrière son micro. Qu'il soit en première partie de concert à la guitare solo ("When i come home", "Mean woman blues") ou dans la deuxième à l'orgue Hammond pour attaquer les "gros" morceaux ("I'm a man", "Keep on running", "Gimme some lovin"), son chant est tout bonnement monstrueux de beauté, capable d'aller se fondre en double blanc de Ray Charles (reprise de "Georgia on my mind" - on est très très loin de la version de Hugues Aufray !), en symbiose constante avec son instrument, particulièrement l'orgue, qu'il fait rugir, bondir, jouir ("I'm a man" ou "Gimme some lovin'"), la voix atteignant ici à la fois une puissance émotionnelle très dense et des limites physiques qui pourtant lui semblent faciles. Même ses raclements de gorge sont élégants. Époustouflant.
L'émission présente aussi une interview d'une vingtaine de minutes très bon enfant du groupe autour d'une table de restau et Cherry Red a complété son Dvd avec "With their new face on", documentaire de l'année suivante, en studio et sur un plateau de télévision allemande, juste après le départ de Winwood parti former "son" Traffic. Spencer Davis, tenant à capitaliser et assurer la promo de ses tubes propose une nouvelle formation, puisant à nouveau dans la classe biberon : le très jeune Eddie Hardin à l'orgue et Phil Sawyer à la guitare et au chant, un Sawyer qui fait peine à voir - là non plus pas de post-prod, on a droit à tout - essayant désespérément de chanter "I"m a man" comme Winwood. On souffre avec lui.
Un Dvd précieux, direct. Aux côtés de Van Morrison et Eric Burdon, Winwood avait déjà sa place au Panthéon de la soul aux yeux bleus (expression née cette année-là en Angleterre à son sujet). Aujourd'hui, on déroule un tapis rouge.
SPENCER DAVIS GROUP Gimme some lovin (Vidéo clip 1966)