Formés en 1985 et séparés cinq ans plus tard, la trajectoire mouvementée des Servants constitue une véritable plaque tournante de la pop britannique de la charnière entre deux décennies : le seul véritable membre permanent en aura été le chanteur David Westlake, puis Luke Haines à partir de 1987. Ce dernier atteindra la reconnaissance notamment avec les Auteurs ("New wave", 1993), et Black Box Recorder ; les Servants ont aussi compté dans leurs rangs des membres passés ou futurs des Housemartins, Triffids, Biff Bang Pow!, Spacemen 3… et même des Go-Betweens le temps d'une session pour la BBC (Robert Forster, Robert Vickers et Amanda Brown).
A l'actif du groupe, on trouve une poignée de singles, un vrai-faux premier disque sorti sous le nom seul de David Westlake sous pression de la maison de disques ; le véritable premier LP du groupe "Disinterest" sort en 1990 : ses démos constituent le second Cd ("Hey hey we're the manqués") de la présente compilation. Une suite, "Small time", sera mise en chantier : ce sont ces belles promesses que l'on découvre sur le premier Cd.
Les sessions de travail de "Small time" ont une assise majoritairement acoustique, avec une qualité sonore mieux dégrossie que celles de "Disinterest". Les chansons ne ressemblent en rien à ce qui se faisait à l'époque en Angleterre : on est bien plus proches du rock américain des Modern Lovers (Jonathan Richman) originels, ceux traumatisés par le Velvet Underground – le son, les harmonies vocales évoquent de très près et sans doute involontairement "VU", le fabuleux disque de démos du "quatrième album" du Velvet paru en 1985. La voix étranglée et affectée de Westlake va chercher du côté de Robert Forster (Go-Betweens) ou bien Edwyn Collins aux début d'Orange Juice. Les chansons ont parfois des allures de gigues démembrées ("Born to dance", "Motivation") dans un geste assez sarcastique, presque postmoderne, ce qui deviendra plus tard la marque de fabrique des travaux de Luke Haines. Le son est sec, à peine ourlé de guitares électriques. "Aim in life", "Rejection", "The thrill of it all", jusqu'au bruitiste "All talk" tracent un sillon très personnel, nerveux et déconstruit, hypnotique : des classiques en puissance.
"Hey hey we're the manqués" sont les démos de "Disinterest". On est dans des schémas plus classiques et électriques, mais là encore avec une connexion plus forte avec des groupes Australiens comme les Go-Betweens ou les Triffids que la pop anglaise en vigueur à l'époque (Stone Roses, Happy Mondays…). Les guitares de "They should make a statue" carillonnent même comme celles de Maurice Deebank avec Felt. L'état d'avancement des démos est variable ("Self destruction" n'en est qu'au stade instrumental avec quelques bribes de voix témoin), et la plupart des chansons travaillées se retrouveront sans changement majeur sur l'album studio : ce n'est donc pas d'un intérêt fondamental, une réédition pure et simple de "Disinterest" aurait suffi. Cependant cinq chansons sont inédites, dont la douce "She's always hiding", "She whom I once dreamt of" au riff velvetien, et enfin la pop jingle-jangle impeccable de "She grew and she grew".
Le groupe affiche une cinéphilie que l'on retrouvera ensuite chez Luke Haines (Auteurs, "New wave"…) : leur nom vient du film de Joseph Losey "The servant", dans lequel un domestique (Dirk Bogarde) prend l'ascendant sur son employeur jusqu'à le broyer totalement. Mais pour l'inachèvement de l'ensemble, on pense plutôt à Orson Welles : des brouillons parfois épatants.