"U" de
l'Incredible String Band fut un événement hors-normes. Après sept
albums tous plus précieux les uns que les autres - mentions
particulières à "The 5000 spirits or the layers of the onion"
(1967) et "The hangman's beautiful daughter" (1968) - Mike
Heron et Robin Williamson veulent voir plus grand. Ainsi naît le
projet "U", qui allie leur musique avec le théâtre et la
danse de la troupe Stone Monkey, conçu pour n'être joué que sur
scène. Le groupe s'embarque pour une tournée américaine début
1970. Mais l'échec relatif du projet conduit à son enregistrement
sur disque pour sauver financièrement l'affaire. Un double vinyle
parait quelques mois plus tard, comme les précédents produit par le
fidèle et éternel Joe Boyd.
Depuis l'origine, écouter
"U" conduit à un constat troublant : on balance entre
amour aveugle - "wow le plus grand disque du monde !" et
consternation désolée - "mais qu'est-ce que c'est que ce
foutoir !".
Aujourd'hui encore, le dilemme n'est pas
tranché. Pour donner une idée, imaginez entendre simultanément des
extraits des albums précédents, une fanfare qui traverse la pièce
et une bande son de dessin animé en fond. On caricature bien sûr,
mais...
Des passages d'une poésie rare parsèment
l'oeuvre, et d'abord ce sitar enveloppant en ouverture, qui annonce
la couleur : ce sera planant sinon rien. Des percussions hypnotiques
ne se privant pas d'hésiter, comme dans une gigantesque
improvisation, des passages de flutes sur fond d'harmonium pour
changer les tableaux, "El wool suite" signé Mike Heron est
un foutu départ de voyage de plus de huit minutes. Deux autres
compositions de Heron, les huit autres minutes de "Bridge song"
et les quinze de "Rainbow" en clôture sont tout aussi
hors-normes. Entre-temps, d'irrésistibles vocaux en lévitation
lysergique ("The juggler's song",) une intimité
atmosphérique toute buckley-ienne ("Time"),
l'archi-baroque "Queen of love", le pastiche blues de Robin
Williamson au piano ("Robot blues") complètent un voyage
épique plus barré encore que l'album "Wee tam and the big
huge" (1969).
Bien sûr on trouve des points faibles, ce
"Bad Sadie Lee" comedy song dispensable, ces dix minutes
paraissant interminables de piano funèbre ("Light in time of
darkness), une auto-indulgence passagère ("Astral plane
theme"), mais on restera pour toujours attaché à "U", totalement foutraque mais totalement onirique et totalement beau.
INCREDIBLE STRING BAND El wool suite (1970 Audio seul)
INCREDIBLE STRING BAND Time (1970 Audio seul)
INCREDIBLE STRING BAND Invocation (1970 Audio seul)