Yoshimi battles the pink robots

The Flaming Lips

par Filipe Francisco Carreira le 04/09/2002

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Fight test
One more robot / Sympathy
Yoshimi battles the pink robots
Do you realize ?


Avant de s’en prendre à l’imposant gong qui trône au milieu de la scène, Wayne Coyne utilise sa mailloche contre des ballons géants qui éclatent au dessus de la foule et se répandent en une multitude de confettis. Derrière lui, un écran géant diffuse une séquence du "Qui veut gagner des millions" américain où les candidats doivent classer des groupes selon la hauteur de la partie du corps à laquelle leur nom fait référence. Lorsque le Foucault local prononce ces mots, "Flaming Lips", l’image se fige, l’action se répète : "Flaming Lips… Flaming Lips… Flaming Lips…", tel un disque rayé. Le décor est planté, le show qui suit, plein de générosité, d’humour et de folie, suscite l’émerveillement le plus total ou l’incompréhension la plus aveugle. Côté disques, les Flaming Lips n’ont, depuis leurs débuts en 1983, cessé de progresser, glissant d’un rock hérissé et bordélique vers une pop rêveuse et sophistiquée, enchaînant des albums à la mesure de leur démesure ; celle-ci atteint en 1997 son point culminant lorsque "Zaireeka" propose quatre disques à écouter simultanément. Si "The soft bulletin" paru deux ans plus tard, à peine plus raisonnable mais non moins ambitieux, impressionne d’emblée par la richesse de ses orchestrations, "Yoshimi battles the pink robots", modeste et intimiste, demande une écoute plus patiente. Près de six mois après sa sortie, il continue de surprendre, livrant ses secrets au compte-gouttes, réaffirmant son mystère, cultivant cet étrange paradoxe : plus on le découvre et plus il nous échappe. Cet album raconte l’histoire d’une petite fille japonaise, Yoshimi, chargée de défendre la Terre contre de vilains robots roses. L’un d’eux tombe amoureux d’elle et s’autodétruit pour la sauver. Derrière cette histoire en apparence aussi charmante qu’anecdotique, se cache un disque d’une rare profondeur et d’une rare sincérité, émaillé de réflexions sur la vie et la mort, l’amour et la haine et ce qu’être humain est. Inutile cependant d’y chercher des réponses toutes faites ; ce disque n’en a pas la prétention mais pose, et c’est déjà beaucoup, les bonnes questions. La prise de conscience par un homme d’âge mûr des erreurs du passé insuffle une mélancolie poignante à "Fight test" mais le caractère enfantin et enivrant de la mélodie pousse à un optimisme qui n’a rien d’une façade, qui ne doit rien à un quelconque second degré. La voix de Wayne Coyne y est troublante de fragilité et les effets d’annonce décalés _ "The test begins", " The test is over" _ sont à percevoir comme la pudique mise en perspective d’une chanson au contenu grave et à l’évidence autobiographique. Ce mélange de joie et de tristesse fait également la force de "Do you realize", un folk dérangé et lunaire aux paroles belles à mourir : "Do you realize that happiness makes you cry / Do you realize that everyone you know someday will die / And instead of saying all of your goodbyes / Let them know you realize that life goes fast / It’s hard to make the good things last" (Réalises-tu que le bonheur te fait pleurer / Que tous les gens que tu connais mourront un jour / Au lieu de leur dire tes au revoir / Montre leur que tu réalises que la vie est courte / Que les bonnes choses ne durent pas longtemps). Une telle chanson devrait être sur toutes les lèvres ! Pourquoi les Flaming Lips sont-ils moins populaires que la Star Academy ? "Miss tcha-tcha-tcha paris latino aïe aïe aïe caramba", c’est mieux ? Il y a dans ces chansons quelque chose de trop rare et de trop précieux, une tristesse qui retourne l’estomac mais aussi cette naïveté, cette capacité à s’émouvoir et à s’émerveiller de la beauté du monde que l’entreprise, les voitures de sport et les politiciens de droite nous font perdre de vue. "Yoshimi battles the pink robots" évoque le plus souvent un film de science-fiction surréaliste et impossible mais se montre parfois serein et bucolique _ "It’s summertime" _ insolemment aérien _ "Approaching Pavonis Mons by Balloon" _ et même cruel : pourquoi les trente-cinq dernières secondes de "One more robot / Sympathy 3000-21" ne durent-elles que trente-cinq secondes ? Certainement parce qu’il faut bien trouver un défaut à un disque aussi débordant d’idées et de beauté, de joie et de tristesse, abondant comme un pays vierge et sauvage.