Juin 67 : un groupe américain inconnu,
emmené par un chanteur de 16 ans emporte tout sur son
passage avec "The letter", 1:54 de pêche pop soul
irrésistible. Les Box Tops deviennent numéro un dans le monde
entier. Pendant deux ans, le groupe sortira métronomiquement 45
tours et Lp, pour tenter de se maintenir à ces sommets, et
brusquement s'arrêter. Exit The Box
Tops.
Les coulisses de cette histoire sont moins idylliques. Au début 67 à Memphis, The Devilles et leur chanteur Alex Chilton sont un parmi
les centaines de groupes américains qui ont poussé comme des
champignons à la suite de la British invasion, fascinés de pop et
de révolution musicale ("Pet sounds" est déjà sorti,
"Sgt Pepper" arrive, comme Hendrix et le premier Doors).
Au
début 67 à Memphis, le manager Chips Momans vient de quitter
le label local Stax (où il s'occupait des stars-maison Carla
Thomas et Mar-Keys) pour monter sa propre boite avec le
producteur-arrangeur-compositeur Dan Penn (avec qui ils ont écrit
"Do right woman, do right man" et "The dark end of the
street", deux classiques pour Aretha Franklin et James Carr).
Momans et Penn n'ont rien à faire de la pop en ébullition du
moment, ni des Devilles, sauf de leur chanteur de 16 ans dont
l'aisance et la maitrise de la voix laissent penser qu'il est bien plus vieux. Son potentiel les fascine, il lui faut un bon groupe
de soul derrière lui.
Avec sur la table un contrat
d'enregistrement et de distribution internationale (via le label
new-yorkais Bell, sous-division de la Columbia), les Devilles signent
et muent en Box Tops.
Ils deviennent ainsi un groupe
maison, des marionnettes destinées à rapporter du cash. Produit aux studios
American Recording de Memphis par Dan
Penn, alimenté en chansons calibrées par le duo Dewey Oldham/Dan
Penn ou par Wayne Carson Thompson, arrangé par Wayne Jackson
(cuivres) et Mike Leech (cordes ), le groupe est factice en studio.
En effet, seul Chilton chante vraiment, accompagné par des musiciens
de studio ("The Memphis Boys" sur les crédits pochette)
et pas des moindres : Eddie Hinton, Bobby Womack, Reggie Young - le sitar électrique sur "The letter" c'est lui...),
et une fois les disques sur le marché, le groupe – au complet
cette fois - s'épuise sur des tournées sur-bookées et à peine
payées. Peu après la sortie de "Dimensions",
le quatrième album (1969), Alex Chilton enverra tout balader et
prendra les rennes de sa vie artistique, créant Big Star avec Chris
Bell (après avoir refusé l'offre d'être le chanteur de Blood,
Sweat & Tears, "trop commerciaux" dira-t-il – chat
échaudé craint l'eau froide).
Musicalement cependant, Wayne Carson et
Dan Penn avaient du talent dans une veine soul qui convenait
parfaitement à la voix de Chilton, vraie référence de
blue-eyed soul. Quatre albums (plus les singles issus)
paraitront de 67 à 69. Des albums, à considérer plutôt comme des
collections de morceaux, souvent des reprises soul ou blues, encadrant des
chansons ciblées "tube", bien foutues, bien écrites et bien produites.
A la suite du coup de maître initial
"The letter" (reprise en France par le chanteur des
Lionceaux Herbert Leonard), les Box Tops proposeront notablement
"Neon rainbow", "Choo-choo train", "I'm your
puppet" ou "Cry like a baby", tout aussi puissant que
"The letter". Curiosité, cette reprise en 68 de "You
keep me hanging on" de Holland, Dozier et Holland, tube soul
mondial en 66 par les Supremes, une version très progressive,
qui sent à plein nez le plagiat de Vanilla Fudge (groupe de Mark
Stein, Carmine Appice et Tim Bogert) qui en septembre 1967 se lançait
avec des reprises pleine d'emphase capiteuse et psychédélique
("Ticket to ride", "She's not there", "Bang
bang"...), dont une de 7 minutes de "You keep me hanging
on".
"Dimensions" (1969)
cependant, le dernier des quatre albums, voit le retrait de Dan Penn
et même si le ton général du disque est toujours "cadré",
Chilton, alors en pleine fascination Buffalo Springfield, gagne de la
liberté, se laisse aller (une version très Morrisonnienne de 10
minutes de "Rock me baby" de B.B. King) et peut surtout
proposer quelques compositions personnelles où les autres musiciens
jouent enfin. L'opportunité d'entendre le méconnu et excellent
guitariste Gary Talley sur le flamboyant "Together",
de loin meilleur morceau de l'album. Un sacré baisser de rideau.
Le label anglais BGO documente ici avec un double album exhaustif (incluant des chutes de studio) la carrière jusqu'ici non rééditée d'un groupe aussi manipulé qu'attachant.
Box Tops désinvoltes, au moment de mimer ces morceaux qu'ils n'avaient pas joués...