Pop Rock | | 1969 | Album Original | Un CD Apple / EMI 2003 |
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SPIRALE |
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| | | par Flavien Girard le 27/12/2003
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| Si "Let it be" s'exhibe aujourd'hui sans honte pudique, c'est qu'à l'époque ses apparats laissaient déjà deviner des bosses d'arrangements symphoniques et des creux charmants de mélodies hypnotiques et improvisées. Malgré tout, la monstrueuse pièce montée laissait dubitatif. Il y avait des renflements magiques, pleins de souhaits autant que de plis rugueux, alourdis de mauvaises fréquentations excitantes. A l'époque, les Beatles ne savaient plus vraiment où mettre les doigts. Marre des moments magiques de "Pepper" et de ses interminables heures de préparation pour rendre le tour plausible. Peur aussi d'avoir perdu le sens de la simplicité, de la convivialité, du rude craquelé et incisif.
Faire appel à Phil Spector, c'était peut-être faire appel au plus grand des proxénètes musicaux, par crainte de ne plus savoir se protéger soi-même. Protection rapprochée s'il en est. A force d'une attention suffoquante, l'album est transfiguré, cabossé, trop lointain pour être remorqué. Lorsque aujourd'hui "Let it be" s'échaude et se dévoile, on voit tomber ses bosses aussi vite que le costume. On pense alors bientôt apercevoir une peau mat, tannée, non pas par un travail minutieux, mais un acharnement répété plutôt. Mais les croûtes tombent aussi vite que le déguisement et l'on découvre un corps d'éphèbe jamais maltraité. La version de "The long and winding road" s'y dessine sans fond de teint et effectivement elle ne mentait pas, elle était belle. "Let it be" elle même n'agace plus, tant on est heureux de ne plus la voir débiter sempiternellement le même discours. Ici, elle nous parle au corps à corps et individuellement.
Mais de le voir entier comme cela, aussi beau et nu sur la place publique, il ne fait qu'éveiller un goût persistant de tromperie. Si on le mord il ne sera sûrement pas tout cru et traité au naturel. Paul McCartney prouve une fois de plus ses talents de metteur en scène-décorateur. Il restaure plus qu'il ne faut. En fait, il restaure de façon gourmande, il tente de saupoudrer du cotillon sur cette époque sombre et excitante qu'est la fin d'un règne. Il rembarque "Dont let me down", belle à faire espérer une sorte de régence commune ; Lennon et lui main dans la main, les querelles dépassées. Sauf que Lennon lui aussi est restauré, réincarné à la manque. Remaniement à la découpe, pile dans les parties indigestes : "Dig it", morceau plein de nerfs est oublié ainsi que ses aphorismes acerbes concernant les sacro-saintes "Let it be" et "Get back" qui ressemblaient peut-être trop à des entrailles qui ne fondront jamais assez vite dans la bouche. Reste une chair rose et rebondie. Rose plastique et amphétamines. Plus de dialogues en guise d'introduction, la musique vit seule sans indices historiques. Peut-être que c'est sur cela qu'il fallait fantasmer. Peut-être faut-il se mentir, les Beatles se sont quittés en très bon terme. Ils ne se sont jamais vraiment quittés. Et ils ont très bien vieillis. D'ailleurs, ils ne sont pas morts.
"Let it be... naked" est l'ultime occasion d'être fier de ne pas se considérer comme moins que rien. L'intérêt de vivre encore sur les braises du plus grand groupe du siècle dernier, c'est de visiter les recoins les plus inexplorés de la mégalomanie. Lennon est mégalo avoué, McCartney s'admire sous cape à fleurs, Harrison snobait la mégalomanie, Ringo rigole. Ainsi, à l'heure des remasterisations en surenchères, eux pulvérisent, avilissent, dénudent. L'intention est louable : nus, nous serions tous égaux. Mais l'album ressort huilé comme un gladiateur. Trop brillant pour être sincère, la peau tellement tirée qu'il ne fait plus que sourire. |
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