Morceaux qui Tuent The goodbye train All his stupid friends What's left of your nerve
Peter, tu ne peux pas arrêter. Tu y arriveras un jour, c'est dans ces mots, lâchés à la fin d'un repas par une amie en pleurs, que Peter Milton Walsh a puisé la force de revenir à la musique au début des années 90. Huit ans séparent en effet "Drift" paru en 1993 de "The evening visits... and stays for years", son prédécesseur et premier disque des Apartments, le temps pour Walsh de voir se briser pas mal de ses rêves de gloire, puis de s'en retourner dégoûté en Australie, dans sa Brisbane natale, où il avait formé les Apartments en 1978.
Retour inespéré, "Drift" s'ouvre sur "The goodbye train" : un break de caisse claire, quelques mesures d'une rythmique fluide et c'est d'un coup le grand frisson : comme surgie du fond de la nuit, la voix de Peter Walsh résonne à nouveau, angoissée et assurée à la fois. Chanson d'un romantisme noir, "The goodbye train" condense en quelques minutes intenses les années de dérive ("Drift") de son auteur. Dès le premier refrain, Walsh y laisse éclater toute la frustration accumulée, soutenu par des guitares à l'électricité sourde et menaçante. En 1985 pourtant, "The evening visits..." était habillé d'acoustique rêche et inquiète. Mais maintenant, c'est la guerre, le refus de la capitulation, la dernière bataille, celle pour retrouver sa fierté. "Drift" est un formidable bras d'honneur à la fatalité, le disque d'un type toujours debout qui a franchi les gouffres les plus noirs et qui revient pour en témoigner, sans aigreur ni goût de revanche ou de règlements de comptes.
Dès les deux premiers titres, écrits en Cinémascope, Walsh campe son décor de quais de gare déserts, de vieux hôtels et d'amours déçues. Rachel, Anna, Caroline, tous ses "melancholy joes" sont des personnages qui se sont heurtés au mur des réalités. Déracinés, plus capables de rêver ni de comprendre comment ils en sont arrivés là, ils sont en perpétuelle errance, de ville en ville, toujours plus loin. Pas mégalo pour deux sous, Walsh laisse le chant au guitariste Greg Atkinson sur "Mad cow", la chanson la plus malade et désespérée du disque. Partout, "le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle" et malgré les cordes aériennes du couplet, c'est une rythmique lourde et bilieuse qui se charge de ramener tout le monde sur le plancher des vaches. Le ciel noir d'encre de "Drift" laisse cependant filtrer quelques éclaircies. Comme le calme revenu après un chaud et moite orage d'été, la fin apaisée de "Places were the night is long" suggère que la nuit dans laquelle on se perd est aussi faite pour s'aimer... Les violons assurent la transition avec "All his stupid friends", scintillante chanson pop, encore l'histoire d'une "freak" seule dans un monde hostile que Walsh transcende en un vibrant et sincère chant de compassion, "I'm with you till the end, sweetheart".
Mais la grande affaire du disque, ce sont ces chansons jouées avec la dernière énergie, d'abord "Nothing stops it", autoportrait sans concession avec ses guitares comme un orage qui gronde, chargé d'électricité statique. Et enfin, en conclusion, la longue chanson "What's left of your nerve"... Une fois terminée, que reste-t-il en de nos nerfs et de nos tripes, mis en bouillie par tant de colère contenue et par des guitares saturées qui auront rarement sonné aussi romantiques et désespérées... Remonté dans son train de l'oubli, Walsh fera encore trois escales parmi nous. Rattrapé par un foutu coup du destin, il ira se renfoncer dans cette nuit qui depuis le départ ne semble pas vouloir le laisser s'échapper tout à fait. On sera là, à l'attendre, quand il posera de nouveau le pied sur le quai.
APARTMENTS Thank you for making me beg (Live Australie 2007)