Apart

The Apartments

par Jérôme Florio le 02/12/2023

Note: 8.0    

040 / 3000 : c’est le numéro de mon exemplaire numéroté de "Apart", acheté par correspondance à sa sortie en 1997. "Songs are like tattoos", oui les chansons et les disques sont comme des tatouages, ainsi que le chantait Joni Mitchell sur "Blue" (1973). Ceux des Apartments sont gravés dans le cœur de quelques milliers de personnes.

"Apart" le bien nommé est singulier dans la discographie du groupe de Peter Walsh, et ceci dès sa pochette : police blanche sur fond jaune, comme une persistance rétinienne après avoir regardé le soleil en face. Personne ne pouvait prédire à l’époque que ce serait en fait le prélude à une longue éclipse de dix-huit ans.

L'éclatement stylistique de "Apart" a pu désarçonner quelques fans, attachés à l’austérité de "The evening visits… and stays for years" (1984) ou aux arrangements soyeux de "A life full of farewells" (1995). La courte ouverture instrumentale "Doll hospital" fait le lien avec le disque précédent "Fête foraine" (1996), en signalant la présence du pianiste Chris Abrahams. Puis "No hurry" vient casser en beauté les certitudes, avec sa rythmique charnue (presque funk ?) et ses cordes synthétiques, sur lesquelles Walsh pose sa voix avec une classe de crooner noctambule.

"Apart" aligne ensuite la merveille d’équilibre "Breakdown in Vera Cruz", dont les cordes et la trompette bossa-nova rendent cette mélancolie follement désirable. "To live for" est une des chansons les plus enlevées et dansantes du répertoire des Apartments (mais ce n’est pas ce qui sied le mieux à Walsh). Elle est tout de suite démentie par "Welcome to Walsh world", en fait une mise en musique de "Au lecteur", le poème liminaire des "Fleurs du mal" de Charles Baudelaire, dans une traduction de Robert Lowell lue par le rockeur australien Dave Graney. Piano, cordes et rythmique jazz, l’aspect funèbre l’emporte sur le côté pince sans-rire du titre de la chanson, et le désespoir plante son drapeau sur la tête du pauvre chanteur.

"Friday rich / Saturday poor" est le meilleur exemple de la fusion tentée par Peter Walsh, dans un traitement inverse à "No hurry" : boîte à rythmes et basse funky, avec quelques zébrures de piano et de guitares, ainsi que des instruments à cordes. Walsh semble suivre la trajectoire du songwriter anglais Ben Watt (présent à la guitare sur "The evening visits…" en 1984), qui a commencé à s’user les genoux sur les dancefloors avec son groupe Everything but the girl dès 1995, avec le tube "Missing". A contrario, "World of liars" est la chanson la plus faible du disque, aux angles trop adoucis, et ne trouvera sa raison d’être que bien plus tard, dans une version rageuse en concert.

Avec "Cheerleader", autre réussite, Walsh navigue sur un long instrumental un peu dub et funky. On pense à la liberté de Colin Newman sur "Commercial suicide" (son quatrième disque en solo hors Wire, en 1986, peut-être un modèle caché de "Apart").

J’ai lu dans une interview de Peter Walsh que "Everything is given to be taken away" lui a été inspiré par des mots écrits par quelqu'un au dos d’un marque-page, qu'il a ramassé par terre dans un train. Walsh brode autour d’eux un morceau de bravoure qui monte en intensité et en émotion, procurant la joie de celui qui, bien que désespéré, chante à tue-tête sous une pluie battante.

Je n’ai pas réussi à retrouver trace de cet entretien. Ce n’est pas grave, finalement, comme ces films que l’on est persuadé d’avoir vus, ou ces livres que l’on jure avoir lus. Les disques des Apartments sont pleins de ces histoires au romantisme fou, ce sont  des Sésame, des mots de passe comme l’a écrit avec justesse Gilles Tordjman – si vous rencontrez par hasard un collègue de boulot dans la pénombre d’un concert des Apartments, il se peut qu'il devienne un ami. "I’m in the same night as you".




APARTMENTS No hurry (Audio seul 1997)