En cette année 2024, le label Grapefruit
(successeur de RPM au sein de la galaxie Cherry Red) complète la première
compilation de 2004 avec un deuxième Cd incluant des démos, le single de Tom Hartman sorti en mai 1971 et six titres enregistrés dans les années 80.
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Les Beatles
ont explosé le cerveau de milliers d'ados dans les années soixante, en
les faisant rêver d'être John, Paul, George ou Ringo : vite, acheter une
guitare, monter un groupe, écrire quelques chansons et pourquoi pas
avoir du succès ?
En 1966, à St. Louis, USA, Tom Hartman était un de ceux-là. âgé de 14
ans à peine, il joue avec trois copains dans The Aerovons, dans lequel
il tient la guitare, le piano et le chant. Encouragé par sa maman, il
enregistre une démo de sa chanson "World of you" : elle atterrit dans
l'oreille d'un cadre de chez Capitol, qui flaire le potentiel et
programme une session d'enregistrements à Los Angeles. Une offre refusée
poliment par la mère d'Hartman, car le fiston ne jure que par la Mecque
des studios, ceux dans lequel s'élabore le son qui l'obsède : Abbey
Road, à Londres, en Angleterre.
Mis en confiance par ce premier accueil, Mme Hartman et le groupe
prennent l'avion pour Londres début 1968, avec l'intention de démarcher
une maison de disques - celle des Beatles, bien sûr. Les employés d'EMI
voient donc débarquer quatre gamins, qui s'empressent de leur jouer une
démo... The Aerovons sont signés ! Tom Hartman réalise son rêve : de
mars à juin 1969, il a trois mois pour enregistrer un Lp aux studios
Abbey Road, à l'épicentre de la British Invasion qui fait trembler les charts
Us. Du haut de ses 16 ans, il écrit et produit tous les titres de
"Resurrection" : pour une première expérience de studio, et pas
n'importe lequel, vous conviendrez que c'est assez incroyable. Le
guitariste Phil Eldholm quitte le groupe juste avant de rentrer en
studio. L'enregistrement terminé, c'est le batteur Mike Lombardo qui
démissionne et rentre à St Louis. EMI, refroidie par ces départs
successifs, décide de ne pas sortir le disque : il ne verra le jour que
34 ans plus tard, sur le label de rééditions RPM. On mesure le niveau de
la compétition de l'époque, pour que des enregistrements d'une telle
qualité n'aient pas été commercialisés : l'ordinaire d'hier passe
aisément pour l'extraordinaire d'aujourd'hui.
"Le talent emprunte, le génie vole", disait Oscar Wilde : on peut
regretter que les Aerovons n'aient pas eu davantage le temps de voler de
leur propres ailes, pour se détacher de l'influence des Beatles qui
écrase quelques titres ("Resurrection" - les plans de "Across the
universe", "Say Georgia", ou la brinquebalante "Bessy Goodheart"). Leur
son pourrait se situer au point d'inflexion entre les périodes rouge et
bleue des liverpuldiens, en plus soft : des Beatles sans carapace,
encore un peu tendres. Hartman, loin d'être intimidé, se mesure à ses
modèles et compose au piano des titres pop parfaitement charpentés,
incrustés d'un psychédélisme léger à base de guitares acides et de
bandes trafiquées - une spécialité apprise chez l'arrangeur George
Martin. La voix blanche, sous une tonne d'écho qui tombe des plafonds du
studio, rappelle celle de John Lennon.
Certains titres donnent une vision plus nette de la patte de Tom
Hartman : "With her", superbe plage acoustique où des scarabées se
dorent les mandibules au soleil californien ; l'imposant single "World
of you", emmené en première ligne par un piano fier et qui s'évanouit en
tourbillon psychédélique. Une trouvaille mélodique ou une rupture
arrivent à singulariser chaque chanson, lui donnent de l'intérêt
("Everything's alright", "She's not dead", les cordes fuyantes de "Words
from a song", le piano honky-tonk de "Something of yours", charmante
cousine de Michelle). L'épique "The children" ferme la marche, à la
construction en tiroirs un peu trop "à la manière de" ; la mélancolie
naissante y est chassée par un piano bastringue.
Les titres bonus sont solides. Mike Lombardo signe l'honnête "A song for
Jane", "Here" est jouée seul au piano - la chanson la plus mièvre du
lot, mais pas la moins bonne : les compositions d'Hartman n'ont pas la
force du vécu, mais elles touchent car on y sent une légère impression
de fin de l'enfance, d'une vie imaginée en couleurs depuis une chambre
d'adolescent.