Le Brooklyn Queens Expressway (BQE) est une artère new-yorkaise de vingt kilomètres laborieusement édifiée entre 1939 et 1964 pour désengorger un trafic automobile et routier de plus en plus chargé : ce long ruban d'asphalte occupe une place à part autant dans le paysage urbain que dans le coeur des habitants de la "grosse pomme". A la demande de la Brooklyn Academy of Music, Sufjan Stevens a réalisé un film et sa musique autour de cet ouvrage d'art. L'ensemble a été présenté du 1er au 3 novembre 2007 sur la scène du Howard Gilman Opera House, et joué en direct par trente-six musiciens, sur une partition vive et légère comme une bonne crème chantilly.
Le présent Cd n'est pas la simple captation de cet évènement mais un enregistrement postérieur en studio, à l'occasion duquel Stevens a réarrangé certains passages – une habitude chez lui. Il fait intervenir un orchestre de chambre, des sections de cordes et de cuivres, plus un groupe classique. Ce n'est pas la première fois qu'une musique vient directement évoquer un paysage urbain américain : on pense notamment à John Barry pour la BOF de "Midnight cowboy" (1969) – "Fun city", indépassable modèle de coolitude urbaine jazz et soyeux – , ou bien à Leonard Berstein ("West side story", 1957). La vision que propose Sufjan Stevens est forcément décollée du macadam, inaccessible aux souillures de la rue, et alerte comme un cartoon de Tex Avery. Il se place dans la position d'un voyageur nostalgique, pour lequel un déplacement dans l'espace se double d'un déplacement temporel – le mouvement IV est la continuation actualisée, électro et vidéoludique comme du Aphex Twin, du mouvement qui le précède. Sur le second mouvement, une trompette saccadée dialogue à égalité avec l'orchestre et rompt la fluidité de l'ensemble : une sorte de métaphore musicale du trafic, à la fois organisé et chaotique, que rend bien la collision entre les phrases courtes et pressées des instruments et la ligne mélodique des compositions.
Meme sans regarder le film qu'il accompagne, "The BQE" provoque suffisamment d'images dans la tête pour exister tout seul : un exercice brillamment réussi, qui jette un nouvel éclairage sur le talent protéiforme de Sufjan Stevens.