Den øverste toppen på en blåmalt flaggstang

Spunk

par Hugo Catherine le 14/09/2004

Note: 6.0    

Écoutes après écoutes, cette musique est décidément flippante. Le morceau introductif, "Kamelmusikk", ne laisse pourtant pas immédiatement deviner les délires à venir même si nous avons tout de même l'impression d'entamer le voyage à dos de chameau ou de dromadaire, cela est à voir, mais rien de plus pour l'instant ; les flûtes, les violons et la contrebasse murmurent le souffle du désert dans le creux de l'oreille. Tout semblerait presque aller pour le mieux mais cette première piste chaloupée se mue bien vite en une musique pleine d'effroi ; la proximité auditive de la voix, qui contraste tant avec le son lointain du désert, devient oppressante et sonne comme une mise en garde.

Si, pour certains, ce nouvel album de Spunk est plus accessible que les premiers enregistrements de la formation, les douze morceaux présentés ne manqueront pas de rassurer rapidement les auditeurs en mal de bizarreries. En effet le quatuor féminin concocte une sauce norvégienne bien unique : jazz, musique de chambre, electronica, "noise music", les genres manqueraient s'il nous prenait de vouloir catégoriser cette musique.

Chaque titre sera l'occasion d'abandonner l'archaïsme d'une volonté de classement, de rangement : cette musique est juste barrée, sans faux-semblants exagérément audibles. Comment définir ces grincements et ces envolées d'opérettes aux intonations asiatiques ("Flagre") ? Ces paroles de canards, ces cordes violemment frottées, ces cuivres méga-soufflés ("Moff") ? Cette festivité de foire complètement tubéïsée ("Epleslang") ? Cette balle rebondissante accompagnée de chuintements et de crissements ("Retur") ? Ces bruits de tuyauterie et ce tapage de casseroles ("Home party") ?

Peut-être faudrait-il s'en remettre au titre de l'album : "Den øverste toppen på en blåmalt flaggstang" ? Au premier abord, cela n'a rien de rassurant. Il s'agit en fait d'un titre en rapport avec Pippi Longstocking, personnage appartenant à l'univers des livres pour enfants de l'auteur suédoise Astrid Lindgren. Serait-ce alors une conspiration scandinave pour nous étourdir ? Devons-nous nous laisser charmer par une poésie tout enfantine ? Irions-nous même jusqu'à en extraire une grille d'analyse ?

Il est vrai que l'impression d'être lâché dans une sorte de fable-bestiaire déglinguée prédomine. Dans "Wilderbeast", les bruits s'apparentent à une voix humaine au langage fou, moitié-hululement, moitié-chimpanzé. Cette nouvelle formule de type "Nature & Découverte" se situe à mille lieues des préceptes habituels de repos du corps et de l'esprit. Dans "Togturen til Andes", les instruments deviennent les gadgets - mini-flûtes, harmonica - d'une forêt sonore où nous pouvons ainsi entendre des grillons égorgés, des chouettes à l'agonie et probablement des hiboux décapités. La dissonance générale s'inscrit dans une trituration répétée et soutenue par la marche inaltérable de la basse.

Ce cabinet de curiosité peut allègrement prendre des allures de carnaval où des personnages masqués se succéderaient sous nos yeux. Nous voyons passer de joyeux drilles, des clowns tristes et des gais lurons en tout genre ("Epleslang", "Norge i rodt"). Mais cette légèreté n'est que passagère car les morceaux de l'album peuvent parfois être gentiment crispants : tantôt des sons graves se dessinent progressivement tels une plaque rauque envahissant l'espace sonore ("Flagre"), tantôt le réveil d'une bête sauvage nous paraît imminent ("Wilderbeast").

Malgré la rigolade permanente, Spunk présente un album inégalement convaincant. Nous pouvons quelque peu déplorer l'utilisation insuffisante d'éléments électroniques qui dessinent pourtant, à l'occasion, une vraie maîtrise structurelle : ainsi, sur "Strom", peut-être le morceau le plus réussi, la superposition des brouillages électroniques et des élans spacieux de trompette parviennent à créer une ambiance particulièrement captivante.

De temps à autres, l'auditeur peut avoir la sensation que cette troupe de boute-en-trains en fait un peu trop - pourquoi donc un tel ramdam ? Paradoxalement, leur créativité, parfois trop feuillue au goût de nos douces oreilles, nous fait sursauter, grincer, divaguer. Finalement, Spunk voudrait nous quitter en nous faisant rêver ("I have a dream") : rêver, oui, mais de quoi ? Un jour, peut-être, vous nous le direz…