Et si on prenait les
choses à l'envers ? S'il s'agissait à l'écoute de cet impeccable
duo Domancich-Goubert de deviner à quelle oeuvre cinématographique
il rend hommage ? Qui pourrait bien deviner David Lynch... Et
peut-être même n'importe qui d'autre, tant la musique proposée n'a
rien de "visuelle".
Le cinéma de David
Lynch est clivant - on en est dingue ou on le déteste - mais qu'il
soit post-industriel ("Eraserhead" début 80's), comique
ultra-décalé ("On the air"), polar addictif ("Twin
peaks") ou objet labyrinthique ("Mulholland Drive",
"Lost highway", etc...), il est indissociable de son jumeau
musicien Angelo Badalamenti, son égal compositeur à la douceur
inquiétante et aux dérapages inattendus, maniganceur d'atmosphères
à l'apparence normale mais où imperceptiblement quelque chose ne
tourne pas rond, à l'exemple exemplaire des quelques notes
dissonantes de saxophone en plein milieu de "Rockin' back inside
my heart" (album "Falling" de Julee Cruise 1990 -
paroles Lynch, musique Badalamenti).
Sophia Domancich et
Simon Goubert étaient fascinés depuis longtemps par l'univers
dérangeant de Lynch, et quand le cinéma Le Méliès de Montreuil
leur propose une expérience de ciné-concert en 2016, la pianiste et
son batteur attitré n'hésitent pas. Le label Pee Wee a eu la bonne
idée de reprendre le concept et de le transcrire en disque.
Qu'on comprenne bien
: leur talent et leur savoir-faire n'est pas en cause, il y a ici des
dialogues complexes et techniques ("Stairs") qui plairont
aux puristes, mais on est aux antipodes du rêve. On pense le frôler
parfois, comme quand démarre "Organum V", avec son
atmosphère répétitive prometteuse d'une plongée hypnotique, mais
hélas rattrapée par le désir (le besoin ?) de devenir cérébral
et technique.