Morceaux qui Tuent Palo Santo White waves La dame et la licorne Failed queen
Au départ, Shearwater est un "à-côté" folk et serein pour Will Shelf et Jonathan Meiburg, respectivement leader et clavier d'Okkervil River. Au fil des disques, Shelf s'est progressivement effacé, jusqu'aux cinq titres co-signés sur un "Winged life" (2004) qui prenait déjà une belle altitude. Epaulé par son ami, Meiburg a pu tranquillement développer son écriture et prendre de l'assurance : désormais seul à bord, il fait le grand saut hors du nid et prend une sacrée envergure avec "Palo Santo".
Jonathan Meiburg lâche la bride à sa voix et à son inspiration, en accentuant les contrastes déjà présents sur "Winged life" : des chansons au romantisme réservé qui ont tendance à chercher l'élévation - et maintenant la bagarre. "La dame et la licorne"** est une impressionnante entrée en matière, qui résume presque à elle seule les chapitres précédents : une montée en puissance patiemment organisée par le martèlement des accords du piano et la crue des guitares. Jonathan dépasse le matériau de départ et catapulte tout très haut avec son chant qui a la ferveur d'un enfant de choeur - le grain de voix, vaporeux et légèrement fêlé, est de plus en plus proche de Mark Hollis, pouvant osciller sans crier gare du chuchotement rentré au brusque coup de sang. On s'approche de "Spirit of Eden" (Talk Talk) ou "Westward bound" (sur l'album solo d'Hollis). Le mouvement de balancier surprend d'autant plus avec "White waves", solidement amarrée au sol par une rythmique plombée et débordée par des guitares cramées. Comme si Jonathan Meiburg se donnait un handicap pour mieux lutter en sens inverse... "Palo Santo" atteint rapidement son sommet avec le titre éponyme, effleuré à la guitare, qui provoque le sentiment d'être pris dans un courant ascentionnel (que je compare à "Subterranean homesick alien" de Radiohead). La suite ne peut décemment pas rester tout à fait au même niveau : le tremblement de terre est passé et on assiste à de belles mais moindres répliques. L'inspiration country-folk est plus évidente sur "Sing, little birdie" ou l'alanguie "Failed queen" (utilisation distante de la pedal-steel) ; quand les trompettes sonnent comme une fanfare triste (l'enlevée "Johnny Viola") on se rapproche d'Okkervil River. "Seventy-four, seventy-five" renoue avec l'état de fièvre bizarre déjà entendu sur la fébrile "Red sea, black sea", avec ces mises en garde ("don't come out tonight...", "there's no turning back...") qui font planer l'ombre du danger.
On se prend maintenant à rêver que Shearwater fasse sauter les formats et les durées, et accouche de son "Lorca" (Tim Buckley), pour mériter totalement son nom d'oiseau rare à qui il fait déjà largement honneur.
** "La dame et la licorne" porte le nom d'un ensemble de six tapisseries du 15e siècle que l'on peut voir au Musée du Moyen-Âge à Paris. C'est aussi un morceau de musique de la même époque, notamment adapté à la sauce folk par John Renbourn.