Contribution / Second contribution

Shawn Phillips

par Jérôme Florio le 04/11/2006

Note: 10.0     
Morceaux qui Tuent
She was waiting for her mother at the station in T
Screamer for phlyses
Withered roses
L ballade
The ballad of Casey Deiss
Steel eyes


Ces disques de Shawn Phillips sont invraisemblables. De véritables Ovnis qui prennent d'emblée place dans notre discothèque au rayon folk sixties, à côté de Tim Buckley ou Buffalo Springfield – mais aussi à l'étage rhythm and blues, musique classique, ou jazz ! De vraies énigmes, qui ont laissé sur le carreau la presse de l'époque et le grand public, déstabilisés par ce cross-over ambitieux et allumé qui brille autant par sa diversité que son étrangeté.

On peut être né en 1943 à Fort Worth, Texas, être citoyen du monde et participer à la grande fête psychédélique des sixties : tributaire des déplacements de son père romancier, Phillips a passé son adolescence sur tous les continents. Précocement attiré par la musique (il commence la guitare à sept ans), il se laisse pénétrer par toutes les sonorités de ses voyages et développe sa technique sur divers instruments, comme le sitar qu'il utilisera d'une manière très personnelle. De retour aux USA en 1964, il tourne dans le circuit folk californien et enregistre deux disques sans grand succès ("I'm a loner" et "Shawn"). Il décide alors de s'expatrier en Angleterre, où il joue et compose avec Donovan (Phillips est crédité pour "Little tin soldier" sur l'album "Fairy tale", mais affirmera ensuite avoir co-composé "Season of the witch" et une grande partie des chansons de "Sunshine superman"…). La créativité de Shawn Phillips se débride, notamment grâce à la consommation de substances alors très en vogue. Expulsé pour travailler sans permis, il revient à Londres en 1968 avec l'idée d'une trilogie d'albums dont il enregistre une grande partie avec les membres de Traffic (le groupe de Steve Winwood, mais Eric Clapton a aussi participé aux sessions). Ce projet se heurtera à une fin de non-recevoir des maisons de disques, échaudées par l'ambition et le manque de notoriété de l'auteur. Pourtant deux ans plus tard, un cadre de A&M écoute les bandes et décide de sortir une sélection de titres issus de ces sessions d'enregistrement. Au moment où sort "Contribution", Shawn Phillips est en tournée américaine pour promouvoir son nouveau disque "Second contribution" (1971).

L'écoute de "Contribution" étonne au plus haut point : on saute sans transition d'un folk-rock ouvragé à la Buffalo Springfield ("Man hole covered wagon", "Screamer for Phlyses") à des ballades austères finement arrangées qui mêlent guitares acoustiques, harpe et sitar ("L ballade", "Lovely lady"). "Not quite nonsense" est une miniature au psychédélisme primesautier et sautillant, assez british, qui rappelle en effet fortement Donovan. Shawn Phillips, en plus d'être musicien et compositeur, a aussi une sacrée voix qui couvre plusieurs octaves : "No question" expérimente la superposition de couches de vocaux - on pense au Tim Buckley de "Starsailor", pour ces grands écarts vertigineux. "For RFK, JFK and MLK" est plus proche d'une protest-song, avec une trompette jazz (voir aussi le solo de basse sur "Not quite nonsense"). Elle précède "Withered roses", un long morceau de bravoure de folk psychédélique.

La pochette de "Second contribution" ne fait rien pour améliorer la visibilité d'un Phillips visiblement allergique à tout cloisonnement ; sur un sol désertique et craquelé, un homme ? une femme (qui pourrait être la Nico de "Desertshore") ? est assis de dos, en toge noire, une guitare douze cordes dans les mains. Une sécheresse inversement proportionnelle au son du disque, plus riche que son prédécesseur. La suite composée de "She was waiting for her mother at the station in Toronto"/ "Keep on" / "Sleepwalker" / "Song for mister C." commence piano, avant de muter en un rhythm and blues surgonflé avec orchestre symphonique (arrangements Paul Buckmaster). "Sleepwalker" est un passage instrumental avec une guitare rythmique funk, clavier à la Booker T. et cuivres. Sur l'ensemble, Shawn Phillips plane très haut, passant d'un vibrato poussé à l'extrême au rugissement félin d'un bluesman blanc – la comparaison avec le Tim Buckley de "Look at the fool" ou "Greetings from LA" n'est pas loin d'être défavorable envers ce dernier (là le rédac-chef ne sera peut-être pas d'accord !). "The ballad of Casey Deiss", ode folk au maintien altier, s'étire avec violoncelle, vibraphone, trompette et la brève incursion d'une guitare jazz, avant une fin à la structure de traditionnel. La paire "Song for sagittarians" / "Lookin' up kookin' down" est du rhythm and blues plus enrobé : fausse piste avant un enchaînement de quatre miniatures de moins de deux minutes, dont une pièce classique symphonique proche de "La mer" de Debussy (!). "Steel eyes" termine en acoustique, sur laquelle Phillips pose une voix grave et posée.

Shawn Phillips tourne et produit toujours des disques. On ne sait pas à quoi ils ressemblent, s'ils donnent toujours cette impression d'évoluer au-delà de sa musique, en la transcendant souvent. "Contribution" et "Second contribution" invitent en tout cas à un formidable voyage.


SHAWN PHILLIPS Ballad of Casey Deiss (Audio seul)