Rappel des faits : la France du début des années soixante est sous une chappe de plomb coulée dans le puritanisme provincial, le refoulement et l'ordre moral. Hormis quelques privilégiés habitués des disquaires pointus parisiens ou habitant près des bases de l'armée américaine (avant que De Gaulle ne la foute dehors avec fracas), les autres ignorent tout des chansons anglo-saxonnes et doivent se contenter du filtre malin tendu par les maisons de disques françaises, qui font enregistrer des traductions à leurs perroquets maison (Hallyday, Vartan, Rivers ou autre consternante Sheila de la vague yéyé).
Si Richard Anthony ne fait pas partie de la petite poignée des vrais créateurs de leurs chansons (Dutronc, Antoine, Hardy, Polnareff) et s'il est lui-même un "traducteur", au moins est-il souvent l'auteur des traductions, et son envergure comme ses atouts méritent attention.
Il est d'abord un pionnier du rock'n'roll. Quand les yéyés apparaissent en 62-63, Richard Anthony chante déjà depuis quatre ans, a fait connaître en France Cliff Richard et Paul Anka, ses musiciens sont des jazzmen (Maurice Vander, Paul Rover, Gus Valere..). Il est ensuite un chanteur qui va très vite évoluer. Dès 1963, il fréquente Londres, ses studios, rencontre l'arrangeur Ivor Raymonde (Dusty Springfield, Walker Brothers) et enregistre avec lui aux studios Abbey Road des morceaux parfaitement ficelés. Enfin, sa voix est un atout. Un timbre un peu nasillard qui fait son charme, une puissance et une justesse qui lui permettent de varier les angles, capable de crooner comme de rocker. On oubliera évidemment le pathétique Anthony d'aujourd'hui, frustré d'être oublié, qui se prend à réécrire l'Histoire, se voyant "le" créateur de chansons adaptées "par" les anglo-saxons. Car ce pitre-là n'occultera jamais le Richard d'hier, swingant petit bonhomme qui tenait la scène et les salles comme pas deux, par le seul pouvoir de sa présence, sans besoin d'une gestuelle vulgaire à la Hallyday.
Le label Culture Factory s'est lancé dans une série de rééditions du catalogue français des sixties, au format Vinyle Replica au son très soigné. Richard Anthony en 1966 et 1967 offre en version française un florilège des très bonnes chansons pop de l'époque : "Monday, monday" des Mamas & Papas ("Lundi, lundi"), "Homeward bound" de Simon & Garfunkel ("Un autographe svp"), "Sunny" de Sonny & Cher, "Out of time" des Rolling Stones ("Baby"), "Just one smile" de Randy Newman ("Un sourire") ou "Run for your life" des Beatles, dont le texte français reprend humoristiquement les titres de ses chansons ("Rien pour faire une chanson"). C'est aussi l'album où figure sa version du "Déserteur" de Vian, qui fera écrire à Jean Ferrat un très baveux "Pauvre Boris". Cinq morceaux survolent cette collection, bichonnés à Londres par Harry Robinson avec une patte rappelant Phil Spector : "La terre promise" ("California dreamin" des Mamas & Papas), "La voix du silence" ("Sound of silence" de Simon & Garfunkel), "Fille sauvage" ("Ruby tuesday" des Rolling Stones), l'excellent "Le soleil ne brille plus" ("The sun ain't gonna shine anymore" des Walker Brothers) et le magnifique "Sur notre plage" ("Pretty Flamingo" de Manfred Mann), qui égalent sans discussion les originaux. 17 titres au total (5 bonus dont la version italienne rare de "La terre promise" ("Sognando la California").
RICHARD ANTHONY La terre promise (Mama's & Papa's - California dreamin')