Deep in a dream

Pierrick Pedron

par Sophie Chambon le 16/09/2006

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Change partner
Lover


Vous ne devriez pas rester indifférent au "Deep in a dream" de Pierrick Pedron, annoncé comme une véritable révélation, même si l'altiste de St Brieuc n'en est pas à son coup d'essai.

Après l'écoute de cet album enregistré spécialement à New York au Systems Two, en novembre 2005, on fait silence. Un silence admiratif qui suit une écoute attentive, sentimentale, presque "amoureuse". Car à l'exception de deux compositions de Pierrick Pedron qui s'intègrent à merveille dans la ligne d'ensemble, l'album reprend ces fameux succès populaires que sont les standards. Et ceux choisis pour cet album ont été marqués par Frank Sinatra, la voix de référence sur quelques titres dont "Deep in a dream", mais aussi le superbe "Change partner" ou encore ce "Lover" qui lui succède avec une des plus belles transitions que l'on puisse imaginer. L'enchaînement entre les deux pièces est à lui seul parfait, puis, pris sur un tempo vertigineux qui nous fait souvenir que Sinatra avait bien sûr adopté ce bijou de Rodgers et Hart dans sa série des "Come swing with me" sur des arrangements de Billy May pour un rutilant big band. Mais pour une fois Frankie n'a pas notre préférence même s'il finissait par nous distiller ces mots "Lover, please be tender … I surrender to my heart", ce que toute oreille amoureuse souhaite entendre.

L'alternance des climats est parfaitement orchestrée. Que dire en effet de la ballade qui suit, la plus longue pièce du disque qui s'étire sur un tempo voluptueux, "A nightingale sang in Berkeley Square" ? Soliste généreux, puissant, soucieux de mélodie et de rythme, Pierrick Pedron avec son alto est plutôt dans le chant du désir que dans l‘aveu de la plainte et il nous fait partager son plaisir quand il se saisit de son instrument pour jouer ces pièces qui parlent d'amour, de désir et d'abandon. Qualifié quelque part de "bopper survitaminé" - cet épithète ne paraît pas des plus justes pour exprimer sa manière de jouer dans une esthétique, certes musclée -, il fait aussi preuve d'un lyrisme délicat. Car, si le saxophoniste a de la fougue et de l'expressivité à revendre, il ressent un amour sincère pour cette musique dans toute sa plénitude, et il serait inexact de ne voir en ce musicien qu'un représentant, même éclairé, d'un courant qui a fait ses preuves. Ne serait-il pas possible de trouver au contraire une unité dans le jazz au delà de la diversité même des styles ? Cette musique avance sans nostalgie aucune, et certains musiciens lui sont fidèles, entretenant l'héritage, ce patrimoine collectif, sans figer pour autant l'évocation du passé.

Pierrick Pedron a su se choisir de véritables partenaires qu'il a engagés dans cette aventure dans un dialogue complice : des échanges longs, intensément tumultueux, mais aussi tendres avec le formidable pianiste qu'est Mulgrew Miller et le batteur confirmé qu'est Lewis Nash. Pierrick Pedron, une fois son répertoire choisi et les arrangements mis au point avec le concours du saxophoniste Rick Margitza et du pianiste Laurent Courthaliack, a traversé l'Atlantique pour rejoindre Thomas Bramerie, contrebassiste français déjà installé à New York ; et rencontrer ces grands accompagnateurs, sidemen prestigieux qui ont accepté de le suivre en donnant le meilleur. Et ce quartet là s'y entend pour nous donner des frissons : beauté du son, thèmes inoubliables, délicatesse des mélodies, superbes arrangements. Quant au swing qui se dégage de cette musique, il est de nature à réconcilier anciens et modernes.

NB : Et quelle pochette "Impulsienne" !! (grain de sel du chef)