Up

Peter Gabriel

par Francois Branchon le 23/10/2002

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Sky blue


Peter Gabriel est un artiste qu'on dit mercurial. Ce type, qui a fondé Genesis, le groupe précurseur de la musique progressive, qui est aujourd'hui un homme âgé à cheveux gris et barbichette évoquant plus la lévitation devant un temple que les projos des planches rock, sort d'une hibernation de 10 ans, hara-kiri total d'un succès commercial important (grand public).

Dix ans pour accoucher de ce "Up", années juste jalonnées d'accessoires (changer les rideaux de son label Real World, s'occuper de Witness sa fondation pour les Droits de l'Homme, écrire quelques musiques pour des films ou le Millenium Dome de Londres...), dix ans qui ont crée un curieux appel d'air et une attente au tournant : dans quel bocal musical avait-il bien pu mariner pendant une si longue retraite ? allait-il surprendre encore ? être d'une veine funky-rock "Sledgehammer", revival "Lamb lies down on Broadway", obscurité dense de "Long walk home" ou rythmes africano/moyen-orientaux ? Et la voix, plus rauque ? plus douce ? Réponse, tout et rien à la fois. Gabriel accouche d'un album extrêmement dense et riche, musicalement sophistiqué comme jamais il ne l'a été, dominé par des rythmiques qui se frappent la tête contre les murs et qui atteint parfois de beaux spasmes émotionnels.

"Up" est un album qui attaque fort d'entrée, "Darkness" pulvérise par secousses une frêle mélodie innocente dans un mixeur synthétique géant. Peter Gabriel impressionne en manieur de cris perçants techno-industriels, il sidère, et "Growing up" (plage 2) serre la camisole d'un cran supplémentaire. Alors quand arrive le particulièrement beau "Sky blue", du Gabriel "familier" (co-produit par le fidèle Daniel Lanois), ballade pleine d'âme, lignes de basses sous la peau, harmonies de Tony Levin, vocaux des Blind Boys of Alabama et montée dramatique, putain c'est décidé, Gabriel est Dieu ! Mais le mieux est souvent l'ennemi du bien. Car il en va ainsi de tous les titres, absorbés à un moment ou un autre dans un maelström de programming et propulsés dans un espace finalement trop restreint pour qu'on ne se reprenne pas le tout sur la gueule. Et si l'expérience est intense, presque initiatique, si les orages débouchent parfois sur une sérénité authentique ("I grieve"), persévérer, rester sous le charme jusqu'à la fin est difficile. A la longue, asphyxie et étouffement menacent. Malgré des noms parfois prestigieux (Peter Green, Shankar, John Brion, Steve Gadd...), on ne remarque pas les musiciens invités à participer à ce au milk-shake géant, tous parfaitement imbriqués dans la mécanique diabolique. Peter Gabriel se charge de tous les synthés, des arrangements de cordes et bien sûr chante, Manu Katche assurant l'essentiel des parties de batterie avec Ged Lynch.

Mais il reste une évidence : insensible aux modes passagères et aux "tendances" à la con, Peter Gabriel garde l'aura et la démarche louable du chercheur authentique, soucieux d'élargir le cadre de la musique populaire sans être démago. "Up" est simplement trop plein, trop riche, mais passionnant si on l'aborde par petits bouts.