| | | par Sophie Chambon le 30/06/2005
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| Premier album de cet intriguant Ojan Septet, "Bureau des Longitudes" a été enregistré en studio au Triton, référence absolue de la musique "actuelle" et de la scène parisienne. "Avec l'écriture comme boussole et l'improvisation pour perdre le nord, avec quatre vents calmes ou déchaînés
Ojan Septet navigue dans les eaux toujours mêlées d'une musique qui garde le jazz comme port d'attache" lit-on dans le dossier de presse...
On ne saurait dire mieux. Pour découvrir, faire entendre, partager cette musique, il fallait créer un ensemble. La rencontre avec Annelise Clément, clarinettiste classique, a conduit à la mise en place d'un orchestre plus développé d'instrumentistes parfaitement accordés autour du pianiste Tristan Macé, auteur de ces thèmes structurés. Une forte relation humaine unit l'équipage du bateau qui a trouvé son équilibre depuis deux ans. Voici un jazz prometteur, lyrique et construit, mélodique ("Jusants, nadirs, ponants", "Seconde naissance") affirmant un esprit résolument métissé : du free jazz en éclats rageurs à la Portal ou Léandre, à la rythmique funk. sans oublier quelques résonances "trad" d'Europe centrale ("Neuf pas vers l'orient", "rendez-vous à l'Est"), cette tradition retrouvant une nouvelle vigueur et extension grâce aux codes du jazz, creuset d'une musique du monde.
Rageurs, s'emportant en crescendos tournoyants dans la troisième partie de "Seconde naissance", les souffleurs aux splendides unissons sont soutenus par une rythmique sans faille : une contrebasse souple et une batterie rebondissante, étourdissante qui maintient le cap de la pulsation. Dès la première écoute, on se laisse embarquer par certains morceaux comme l'éblouissant "Réveil d'Ogoun" et une "Shango danse" frénétique et libératoire. Mais le groupe soutient avec vivacité une musique débridée, exacerbée qui ne laisse pas beaucoup de respiration. La tension est souvent à son comble et elle ne retombe guère. Des ruptures bienvenues organisent parfois certaines transitions au cur même des morceaux, désorienteraient même si l'on ne sentait une inclination réelle du compositeur pour certaines musiques répétitives. Pour marquer l'insistance du chant profond qui sous-tend sa musique, il lui arrive de solliciter de façon plus énergique le grave des souffleurs, orages éclatants, de courte durée.
Ce discours généreux que l'on sent irréfutable, ce n'est pas à la passion de l'astronomie qu'on le doit : ce n'est pas elle qui a guidé Tristan Macé, mais plutôt son imaginaire actif qui a fonctionné autour de la navigation "triangulaire" dans l'Atlantique, le seul océan qui fait se rejoindre les trois origines du jazz (Afrique, Amérique, Europe). Les titres des morceaux rappellent cette douloureuse et tragique histoire, comme "Ojan", le nom du groupe, nom d'une ville au Nigeria, sur l'ancienne côte des esclaves. Quant au Bureau des longitudes, il fut fondé par l'abbé Grégoire (originaire de Laval en Mayenne) à l'origine de la première abolition de l'esclavage en France, pendant la Révolution. Le jazz est une musique qui résulte du choc entre plusieurs cultures, et de la déportation de populations de l'Afrique de l'Ouest vers le continent américain. Il emprunte sa matière partout, se régénère lui-même au contact des autres cultures.
L'Ojan Septet fait irruption sur une scène en pleine mutation. Ce disque est magnifique, il faut l'écouter pour juger de ce qui se produit aujourd'hui. Sans aller jusqu'à réinventer une nouvelle Afrique, il nous fait entrer dans un univers contrasté, original, où les références se fondent en un immense déploiement lyrique. L'évocation d'un monde assombri, et l'espérance d'en sortir. |
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