"Pyjama célibat tequila" et "suicide au Nutella" : avec une prescience étonnante, les Lyonnais méritent bien "l’oracle" de leur patronyme. Un véritable programme de confinement !
Faisant suite à "Speculatio" (2017), le quatuor creuse son sillon de pop colorée, envisagée comme un creuset accueillant autant les musiques anciennes – médiévale, baroque – que du psychédélisme soft et ouaté. Excellents musiciens et véritables as des arrangements, les Odessey & Oracle tiennent leur pari musical. Les textes sont engagés, chantés de manière ingénue par Fanny L’Héritier. Ils puisent leur inspiration dans le monde contemporain – un "monde d’après" qui ressemble à celui d’avant, en pire.
Les chansons sont autant de chroniques déguisées en contes désenchantés, marquées par le deuil ("Chercher maman") ou la brutalité du monde occidental contemporain. Aux côtés de George Orwell ("La ferme des animaux", 1945) ou bien Martin Scorsese ("Le loup de Wall street", 2013), "Crocorama" dresse un bestiaire des capitalistes les plus amoraux : hyènes, crocodiles, corbeaux, marchands de sommeil (publicitaires)… ils sont le pendant de personnages aliénés ("Antoine Rouge") ou zombifiés par la société de consommation – parfois de manière consentante. Violence, répression, insécurité, la finance, le climat… le disque brasse des thématiques politiquement aux extrêmes, avec un enrobage de sucre. Même le côté chaloupé de "Mascara" prend un méchant coup de soleil au regard de l'actualité épidémique par exemple au Brésil : Jair Bolsonaro pourrait d'ailleurs être un parfait spécimen de crocodile tel que décrit par la chanson "Crocorama". En écho à "J’ai vu un croco" ( "Speculatio", 2017) elle est placée au cœur du disque : c’est la source d’un Mal à abattre.
"A ce train-là bientôt leur règne finira / Un jour les populations reprendront leurs droits / Le linceul du vieux monde le peuple tissera / Croco gare à toi !" "Que cela cesse / Nous n’irons plus jamais travailler"
Les compositions très architecturées véhiculent en sous-main une attirance palpable pour l’anarchie ("Les enfants"). Un déséquilibre, un paradoxe qui prend encore plus de relief au vu des débats ayant agité l’espace médiatique pendant la récente période de confinement. La fin du disque s'en retourne abruptement vers un havre protecteur : "Mélodie #1" se libère du poids des mots et du choc des photos en allant se reposer sur les rivages encore vierges de souillure de "La question" (Françoise Hardy, "Chanson d’O", 1971). Malgré le martyre enduré par "Ferdinand l’Albigeois", les musiques médiévales agissent comme un baume salvateur. Il est dommage que "Mélodie #2" abdique en toute fin le programme systématiquement mis en œuvre sur "Crocorama" - une chanson pour dire qu’on n’a rien à dire, ah bon d'accord... comme si le groupe avait soudain eu peur d'être allé trop loin, alors que l'on aurait aimé un basculement définitif dans la rébellion.
Pour citer une chanson beaucoup entonnée dans la rue l’hiver dernier, lorsque "les mauvais jours finiront" on réécoutera peut-être "Crocorama" de Odessey & Oracle comme la bande-son d’un monde révolu. On espère qu’au contraire ce n’est pas un disque prophétique.