| | | par Sophie Chambon le 01/08/2004
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| On connaît Ian Carr pour sa biographie de Miles Davis qui fait autorité. Il fut l'un de ses pairs, trompettiste et leader d'un groupe de fusion, Nucleus. A la même époque que "Bitches brew" de Miles, Return to Forever et Weather Report, les groupes de Chick Corea et Joe Zawinul, cet Anglais de Newcastle improvisa une nouvelle forme de jazz, irrigué d'un rock fascinant car régénérateur. Les temps changeaient et pour demeurer "crédible", le jazz s'électrisait.
Cette réédition d'un double album live en Allemagne en 1971 dont le premier set s'avale d'un trait, le second Cd étant plus inégal, ranime joyeusement l'épopée de pionniers qui firent une belle brèche dans la pop anglaise : énergie du rock, goût des alliages sonores inusités, création continue et imprévisible. Colorée, drue et généreuse, la musique déploie des nappes de son qui s'étirent, une force qui balaie tout sur son passage : lignes de basse grondante, batterie déchaînée, riffs de guitare vibrante et torturée dans un "Kookie and the Zoom Club" de 17 minutes ! Ainsi se brosse à larges traits un paysage ample, dégagé, ourlé de mélopées à la flûte, suprême ("By the pool"), alors que la trompette éclate, souveraine, se confond en écho ou se combine en plaintes amoureuses aux divers saxophones.
Cette époque assurément bénie favorisait l'expérience des limites, l'embarquement pour un voyage in(dé)fini, état de grâce que les musiciens tentaient de prolonger sur scène. Ils ne faisaient pas de la musique mais se laissaient faire par elle qui s'inscrivait alors dans "un long et raisonné dérèglement". Nucleus est la musique d'électrons libres excités, prêts à se désintégrer. D'une intensité rare, survoltée, jouée par ceux qui l'inventèrent en direct, elle demeure - et pas seulement pour les nostalgiques - essentielle. Un peu plus indispensable chaque jour. Car en dépit des cycles et autres revivalismes, on s'en éloigne inexorablement, la vérité du moment étant à chercher ailleurs. |
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