C'est un hasard qui
me fit découvrir Mobb Deep l'année du décès de Prodigy, l'un des
deux protagonistes du groupe. Aussi, cette chronique pourrait-elle se
décliner comme un hommage, un salut des vivants au travail des
morts.
"The infamous" est ce que l'on appelle un
classique qu'il n'est pas besoin de présenter ; le morceau
"Shook ones pt. II", qu'il est difficile de ne pas avoir
entendu au moins une fois dans sa vie, serait considéré par les
spécialistes comme l'un des meilleurs morceaux de l'histoire du
hip-hop. À juste titre semble-t- il. L'album dans son ensemble est
remarquable par sa cohérence musicale et dramatique, ce qui en fait
d'emblée un modèle de perfection, phénomène assez rare
dans le domaine de la production musicale et artistique dans son
ensemble pour être souligné ; il se déploie comme une tragédie en
trois actes qui nous entraîne dans un cycle de violences sans
commencement ni fin qui conduit nécessairement au bord de la tombe.
"The start of your ending" donne le ton du
voyage, crépusculaire : Les "Poetical Prophets" nous
embarquent dans une voiture enfumée de crack et de marijuana, volume
à fond de basse. Ils nous racontent, comme tout le hip-hop du monde,
comment ça se passe dans les quartiers de New-York qui sont de
l'autre côté de la loi et dont nous sillonnons les rues. Mais
plus encore, c'est une vision du futur que Mobb Deep nous
livre, de votre futur : "Ici s'arrête votre route, ici
s'arrête votre monde, ici les lois que vous connaissez ne sont plus
la loi. Ici, nous sommes les maîtres et les gardiens. Nous ne sommes
pas une erreur dans l'équation, nous sommes pas une exception à la
règle, nous en sommes l'origine et la destination. Notre présent,
c'est votre futur."
Les morceaux comme "Eye for
eye", "Temperature's rising", jusqu'au fameux "Shook
ones", avec leurs instrus lourdes, écrasées, puissantes, les
flow rapides et percutants, qui descendent dans les tripes et
travaillent les viscères à la manière d'un poison lent,
caractérisent cette progression lancinante de l'enfer sur la terre.
Ça c'est du hardcore. Au-delà de la qualité musicale de l'album,
de sa production, dont on peut dire qu'elle n'a rien perdu de son
efficacité et qu'il faudrait se lever de bonne heure ou se coucher
très tard pour réaliser, dans ce domaine, un objet culturel aussi
percutant ; ce qui intéresse avec cette chronique c'est de mesurer
la portée prophétique, avec un recul de plus de vingt ans,
de cette projection spectaculaire dans un futur qui devient
certainement de plus en plus notre présent et sous des formes
qui ne sont pas encore totalement déployées.