En 1972, Mick Softley s'apprête à
quitter une fois de plus l'industrie musicale après une salve de
trois disques, conclue par ce "Any mother doesn't grumble".
Né
à South Woodford (Angleterre) en 1941, ce n'est pas à la vague
rock'n roll que Mick doit ses premiers émois musicaux : ses goûts
le portent davantage vers la littérature et le jazz. Au cours d'un
voyage à moto à travers l'Europe entrepris en 1959, il se
perfectionne à la guitare en côtoyant des musiciens anglo-saxons
expatriés à Paris ; à son retour en Angleterre , il est raccord
avec la vague revival folk (Davy Graham, Martin Carthy…) et
se produit dans un pub de la ville de St Albans ("The Cock")
qui fait partie d'un circuit informel de clubs drainant musiciens et
beatnicks. Il y fait la rencontre de Donovan (Leitch), alors
adolescent et son cadet de cinq ans, et l'aide à améliorer sa
technique de guitare en finger picking. En 1965, le succès
venant, Donovan lui renvoie élégamment l'ascenseur et le porte à
l'attention de cadres de l'industrie du disque, permettant ainsi à
Mick d'enregistrer un premier single pour le label Immediate en 1965
("I'm so confused") puis un disque folk et dépouillé
"Songs for swinging survivors" qui ne se vend que
modestement.
Peu enclin à persister, Mick Softley continue
pendant les quatre années suivantes à pratiquer la musique en
amateur dans de petits clubs, entre petits boulots et vie de famille.
Une tentative de groupe électrique, Soft Cloud, tourne court.
C'est
à nouveau Donovan qui le convainc de retourner en studio. Cette
fois, entouré de musiciens de talent et du producteur Tony Cox (de
Caravan à… Françoise Hardy), Mick Softley se sent dans de bonnes
conditions, qui lui laissent plus de liberté pour créer ce que bon
lui semble. "Sunrise" paraît en 1970, "Street
singer" en 1971 et finalement "Any mother doesn't grumble"
(1972). On sait dès "The song that i sing" que l'on est
dans un style hybride, qui s'affranchit très vite des canons folk
traditionnels. La chanson commence classiquement guitare-voix, avant
de s'emballer dans une gigue électrique instrumentale claudicante
dans laquelle la guitare et le saxophone en liberté se montent
réciproquement le bourrichon. Les parties de cuivres et de flûtes
semblent parfois écrites, parfois improvisées. Le disque trouve
naturellement sa place aux côtés des premiers Van Morrison, avec un
côté singer-songwriter qui peut par exemple le rapprocher de
Cat Stevens, avec une voix parfois nasale mais le plus souvent
profonde et naturelle. Toutefois, "Any mother doesn't grumble"
témoigne d'une individualité qui ne rentre dans aucune case. Entre
les chansons acoustiques sensibles jouées en picking ("Sing
while you can"), marquées par le folklore traditionnel ("The
minstrel song" que Sandy Denny - Fairport Convention - aurait pu
chanter) s'immiscent des chansons inquiètes ("From the land of
the crab", "Have you ever really seen the stars"), qui
laissent poindre une sorte d'angoisse existentielle. On pense alors à
Bill Fay, un autre solitaire. "I'm so confused", le premier
single de 1965, est réarrangé et sans doute plus proche des
intentions initiales de Mick.
Ne faisant pas les compromis
nécessaires pour construire sa carrière, Mick Softley s'éclipse à
nouveau du circuit commercial. Il s'y essaiera encore pour deux
autres disques dans la deuxième moitié des années 70, dont
personne ne semble avoir remarqué l'existence. Aujourd'hui Mick vit
en Irlande, à Enniskilen. On redécouvre un travail sincère, à la
fois porté par l'air du temps et farouchement indépendant.
MICK SOFTLEY I'm so confused (Audio 1972)
MICK SOFTLEY From the land of the crab (Audio 1972)