Longtemps fidèle lieutenant de Nick Cave, depuis les Boys Next Door à la fin des seventies jusqu'aux Bad Seeds (qu'il a quitté en 2009), Harvey s'est régulièrement ménagé des respirations musicales, notamment grâce à la dizaine de B.O. qu'il a signé pour des films indépendants. "Pink elephants", plongée réussie dans l'univers de Serge Gainsbourg, était déjà en 1997 un signe d'indépendance après un premier volet deux ans plus tôt ("Intoxicated man", 1995).
A la même époque, John Zorn sortait sur son label Tzadik une déconstruction arty-intello étonnante des chansons du grand Serge. Mick Harvey ne s'inscrit pas dans la même démarche. Il se coule avec une classe naturelle dans l'univers de Gainsbourg, en y apportant systématiquement une touche personnelle sans pour autant martyriser les versions originales : une basse prognathe et un orgue accentuent le rythme si caractéristique de "Requiem pour un c..." ; ou encore l'accordéon qui fait valser la "Javanaise". Harvey ne se contente pas de reprendre les titres les plus connus : la sombre et prenante "Black seaweed" ("Les goémons", 1962), ode poétique et maritime à la féminité, est une petite merveille. Les chansons sont tirées de toutes les périodes de Gainsbourg, de "The ticket puncher" ("Le poinçonneur des Lilas", 1958) à "To all the lucky kids" ("Aux enfants de la chance", 1987). Mick Harvey remplace les sonorités de chaque époque par ses propres instrumentations, qui trouvent la juste distance entre réappropriation et un respect bien palpable (on le sent surtout sur "The ballad of melody Nelson", jouée à l'identique avec tous les instants-clés des arrangements originaux comme s'il était impossible de faire mieux, ou autrement).
Le seul bémol vient de la langue. La poésie étant très difficile à traduire, il manque par exemple à "Non affair" ("L'anamour") le charme des jeux de mots, allitérations, et autres anglicismes dont Gainsbourg s'est servi pour catapulter la
chanson française dans un bain pop enthousiasmant de fraîcheur. Sur "Comic strip", Harvey contourne la difficulté en remplaçant les onomatopées par... leur équivalent sonore (un vrai/faux bruit de rayon laser à la place du "Wizzz" chanté). Mick n'est pas un interprète renversant, mais impose une tranquille assurance mâle. Quand le boulot nécessite un véritable animal, il fait appel à Nick Cave pour faire un numéro de matamore rentre-dedans à Anita Lane sur "I love you... nor do I" ("Je t'aime... moi non plus"). En somme, un travail de reprises qui fait davantage honneur à Serge Gainsbourg que nombre d'hommages d'artistes francophones - et qui se double d'un louable effort de vulgarisation intelligent vers le public anglo-saxon.