Morceaux qui Tuent Josephine Shenandoah The handing down Map of the falling sky Little sad eyes
"Josephine" est un disque d'americana grand teint : une musique aux épaules solides, qui peut porter sans faiblir bien des fardeaux - à condition de savoir s'en servir avec talent, ce qui est le cas de Jason Molina.
Jason Molina est un artisan qui va au charbon depuis plus de dix ans. On l'a souvent comparé à Will Oldham, surtout du temps de Songs:Ohia, son précédent groupe (1997-2003). Il est vrai que si l'on aime le premier, il y a de fortes chances d'apprécier le travail de Molina, mais ce dernier prend ici un avantage assez net sur son camarade – tout en étant aussi prolifique. Les premiers titres s'installent sans forcer, mid-tempos classieux qui font place nette à un saxophone ("O! Grace"), ou une ambiance de romance fifties au goût sucré évaporé depuis longtemps ("Rock of ages"). La troisième chanson "Josephine" rentre dans le vif du sujet et se met à filer la métaphore d'un amour trouvé , puis perdu. Ce sera le fil rouge du disque. Jason rendrait hommage par ce biais à Evan Farrell, bassiste disparu de Magnolia Electric Co. : on pense alors au grand classique de Neil Young, "Tonight's the night" (1973), disque blême marqué par le décès du roadie Bruce Berry. On n'oublie pas Crazy Horse (les choeurs mâles de "Hope dies last"). Molina chasse sur les mêmes terres, habite les mêmes paysages. On le rapprochera donc du Canadien par sa voix même, qui semble vouée à ne pas muer, vulnérable, gardant intacte une sorte de fragilité enfantine.
Le disque est produit avec attention par Steve Albini, qui sait conférer au son une inexplicable sécheresse, malgré la chaleur dégagée par les guitares et la pedal-steel (l'alanguie " Shenandoah"). La musique de Magnolia Electric Co. sait aussi changer de peau, pour se transformer en rock vigoureux emmené par un groupe à l'unisson ("Shiloh") – un récent passage sur la scène du Café de la Danse, Paris, a permis de le constater (notamment sur "Little sad eyes"). Le rock, ou le folk, peu importe, sont ici une expression vitale et authentique, en prise directe avec la vie. On peut reconnaître aussi beaucoup de Okkervil River dans la mélancolie épique qui se dégage des trompettes de "Song for Willie". Une atmosphère menaçante plane sur les belles guitares ombrageuses de "The handing down". Les démons de Jason Molina ne semblent jamais devoir lâcher prise, et sur "Map of the falling sky" il semble ne chanter que pour lui : on écoute, respectueux et subjugué par ce mélange de nerfs et d'abandon.
"An arrow in the gale" termine en beauté, sur un riff de guitare presque soul, juste le temps d'un couplet et d'un refrain que l'on aurait aimé voir se prolonger. Peu importe, car "Josephine" donne l'impression de parvenir à se transcender presque en permanence, au-delà de ce qu'il est sans conteste : un grand disque de musique américaine habité, sensible, rageur.
MAGNOLIA ELECTRIC CO. A little at a time (Clip 2007)