| | | par Filipe Francisco Carreira le 17/03/2004
| Morceaux qui Tuent Anywhere on this road Abro la ventana
| |
| Née en 1972 près de New York d'une mère actrice et d'un père écrivain et professeur d'espagnol, Lhasa de Sela a passé le plus clair de son enfance entre les Etats-Unis et le Mexique, sillonnant les routes à bord du bus familial, se nourrissant de livres quand d'autres se gavent de télévision. Cette existence nomade lui inspire des chansons où il est souvent question de voyage, de départ et d'impossible retour ("Abro la ventana"), de frontière ("La frontera"), préférant l'itinéraire à la destination : "There is no way to stop" prévient-elle sur "Anywhere on this road". Son périple musical commence en 1998 lorsqu'un album baptisé "Llorona" naît de sa rencontre avec le guitariste Yves Desrosiers à Montréal. Depuis, son univers a accueilli d'autres musiciens, François Lalonde et Jean Massicote, venus participer à cette improbable - et inclassable - rencontre de blues, de folk, de musiques gitanes et de fado à la croisée des chemins foulés par Tom Waits et Amalia Rodrigues, Chavela Vargas et les Tindersticks ("My name").
Lhasa a le goût de la mélancolie et le don de la tragédie ; ses chansons s'imaginent dans un décor en carton-pâte au bord de l'affaissement, fragile et sincère jusqu'à l'obscénité, rendant la réalité qui nous entoure artificielle en comparaison. Sa voix parvient à se hisser à de vertigineuses hauteurs et se fraie un chemin vers le cur en donnant l'impression de sortir d'un cabaret sale et bruyant - "Abro la ventana" - où des ivrognes boiteux renversent les chaises selon un rythme (rituel ?) invariablement bancal et chancelant - "Anywhere on this road". Il ne faut pas juger mais essayer de comprendre ceux qui, perdus au milieu de l'océan, condamnés à errer avant d'être engloutis, ont perdu l'espoir de revoir la terre ferme : "La route n'est plus", informe "La marée haute". Et quand bien même ils la retrouveraient, elle serait sèche et jonchée de cailloux, n'ayant que sa poussière à offrir sous un soleil aveuglant - "La frontera".
"The living road" se situe à la frontière entre le réel et l'imaginaire, la raison et le délire, à l'endroit précis où toute chose disparaît, même le sommeil - "Pallegara tu lado". Dans "J'arrive à la ville", Lhasa "traverse la ville comme un géant" mais n'est-ce pas cette dernière qui est trop petite, comme le laisse entendre le bien nommé "Soon this place will be too small" ? Trop petite pour un disque aussi avide de grands espaces, abondant et généreux, où chaque morceau raconte sa propre histoire en participant à une autre, celle de "The living road", qui s'achève doucement sur ces paroles : "and I'll go outside", tel un rêve qui s'évanouit. Il est impossible de passer à autre chose dans les instants qui suivent, ces notes continuent de flotter dans l'air, cette voix de hanter nos pensées, le vent de ramener ces mains qui claquent contre la fenêtre, ces violons qui grincent et qui chuintent contre la porte. Tout devient alors un appel au voyage.
|
|
|