| | | par Francois Branchon le 13/01/2001
| Morceaux qui Tuent Hissez (version 1971) Sur un fil blanc J'ai peur de vivre Bonjour le petit jour Quand mon arbre
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| En 1971, le quartier latin parisien n'est pas encore devenu un misérable cloaque de restos grecs attrape-touristes et de magasins de chiffons. Bien au contraire, la rue de la Huchette, que chante alors un Yves Simon pas encore tête à claques, est nimbée de jazz et, sur les hauteurs de la Contrescarpe et de la rue Mouffetard, on croise les lycéens et étudiants de l'après 68, joyeusement appliqués à mettre en pratique les slogans proclamés quelques mois plus tôt. Là, sur la colline du 5ème arrondissement, de nombreuses communautés de pensées se croisent : maos, libertaires, apprentis artistes de la toute neuve fac de Censier, premiers homos militants créateurs du FHAR ou simples bandes de potes qui habitent les vieux apparts et qui, le plus normalement du monde, montent des groupes. C'est ici que j'ai entendu pour la première fois Les Enfants Terribles, groupe fantasque qui y avait établi sa demeure.
Les Enfants Terribles étaient surtout la "chose" d'Alain Feral, auteur-compositeur-guitariste grand amateur de joints et chanteur hors-pair, avec une voix tonalité à la Pascal Danel (mais avec des couilles) et une force de stentor à la Michel Corringe. Son groupe, ou plutôt sa communauté, regroupait sa femme Luce, les frère et soeur Gilles et France Pommier et le solitaire Jacques Mouton... Les Enfants Terribles sont nés en 1966, et ont produit jusqu'en 1969 quatre Ep précurseurs de chansons folk-rock, aux vocaux riches et enflammés, soutenus de guitares acoustiques et percussions, parfois d'arrangements électriques psychédéliques (les titres de 68 et 69) et à forte charge poétique. En 1971, Barclay sort "C'est la vie", un album, qui comme la tradition le veut alors, est une réunion des Eps, sauf que cette fois, les titres sont tous réenregistrés et réarrangés. Tout y est plus léger, plus acoustique, les guitares électriques délaissant les rythmiques pour les arabesques. Du coup, "C'est la vie" devient un vrai album de folk, à l'unité nouvelle, qui tout en respectant une tonalité "chanson française" s'inspire des cousins britanniques, de l'Incredible String Band notamment.
Que de temps il aura fallu pour voir la réédition de ce chef d'oeuvre qui dormait dans les coffres de Barclay-Universal-Vivendi ! "C'est la vie" n'a pas pris une seule ride : "J'ai peur de vivre" et ses vocaux exaltés, "Sur un fil blanc", chanson légère comme le "clown blanc sur son fil blanc" qu'elle raconte, "Bonjour le petit jour" tapissé de petits cris et ses vocaux qui se croisent, montent et descendent, "Titi" chanson dérision bourrée de clins d'oeil à Titi (le compère de Grosminet), au "Zorro" d'Henri Salvador, à la "Bamba", démarrant par une parodie grinçante de "L'enfant au tambour" de Nana Mouskouri, en bref une histoire de "dents foutus dedans, de soldats de plomb et de plombages de dents" (les pétards ont du tourner tard !), "Wagner", ses touches vocales impressionnistes et sa défense des poètes ("Quand on fume du haschisch de mauvaise qualité, il faut s'attendre à partir un jour en fumée..."), "Quand mon arbre", la plus poétiquement aboutie, pas loin des meilleurs Brel et magnifique intro de guitare, et puis "Hissez", chef d'oeuvre des Enfants Terribles, histoire d'une "horloge perdue au fond de l'eau", d'un bateau "coulé par une baleine chaussée de sabots", fausse chanson de marin aux rythmiques flamboyantes de guitares à douze cordes et backing vocaux déchaînés...
Magic a eu la bonne idée d'ajouter à la suite des onze titres de l'album original, seize bonus dont les versions 45t antérieures, permettant la découverte des arrangements premiers de "Monsieur l'univers", "Wagner", "J'ai peur de vivre", "Bonjour le petit jour", "Nativité", "Le poète et la rose" et d'un "Hissez" ébouriffant, aux vocaux mouvants comme des vagues lysergiques, batterie rock, guitares électriques tordues et arrangements de violons à la David McWilliams. On trouve aussi tous les autres titres des 45t, de 1967 à 1969 (un très beau "Longtemps") et surtout le tout premier de 1966, assemblage baroque avec l'excellent "Quand on en aura marre" aux vocaux déjà progressistes et prémonitoires ("quand on en aura marre de bouffer des pavés, y'aura plus qu'à s'coucher" !) côtoyant un "Désolé" où Luce Ferral chante comme Zouzou la grande. A quand la réédition de "On l'appelle Madame", leur plus encore obscur second album de 1974... ? |
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