Après une trajectoire doucement ascendante (premier disque "Hate your friends",1987), les Lemonheads s’écroulent au pied du succès à la sortie de "Lovey" (1990) qui marque leur signature sur la major company Atlantic. Evan Dando entreprend alors une tournée solo en Australie, qui lui apparaît comme la Terre Promise : plein de jeunes qui glandent au chômedu et passent leurs journées à se défoncer et à jouer du rock’n'roll ! Il y passe un séjour sans contraintes, se fait des potes avec lesquels se droguer et écrire des chansons, et à son retour aux Us enregistre presque seul le disque pour lequel les Lemonheads resteront dans les mémoires.
Dando est alors un beau gosse au physique de surfeur, avec un look grunge plus propre sur lui que Kurt Cobain ; il fraye avec Wynona Ryder et Johnny Depp… En 1992 il incarne le cool et on a envie de lui ressembler. La réécoute de "It’s a shame about Ray" se teinte aujourd’hui d’un pincement au cœur, car ce disque documente Evan avant que son mode de vie ne l’entraîne plus profondément dans les addictions, l’empêchant d’en donner une suite digne : les planètes sont alignées, et personne n’a conscience de la brièveté de l’instant.
"It’s a shame about Ray" a vite gagné un statut de petit classique ; il sonne étrangement isolé, sans descendance – l’histoire bégaiera par exemple pour Girls (le groupe de Christopher Owens). Son succès est dû à un malentendu, grâce à la reprise de "Mrs Robinson" (Simon & Garfunkel) enregistrée pour les trente ans du film "The graduate" (Le lauréat", Mike Nichols, 1967) et qui ne figure même pas sur l’album. A nouveau trente ans plus tard, Fire Records a la bonne idée de l’inclure en bonus sur cette impeccable ressortie.
Sur fond de guitares grunge un peu grasses, l’écriture d’Evan Dando est parfaitement pop et accrocheuse. Ses chansons résistent au temps car elles sont aussi travaillées par des courants plus profonds : le divorce des parents ("Confetti"), la lassitude ("Rudderless"), une vague intuition de vivre son meilleur moment avant de tout gâcher ("Kitchen")… Autant de qualités que l’on devinait à l’époque et qui sont maintenant confirmées par les nombreuses démos acoustiques incluses sur la réédition : de quoi fermer définitivement le caquet des jaloux qui se moquaient de ce gars trop mignon pour être vraiment doué.
"It’s a shame about Ray" reste avant tout un grand moment de fun sur lequel Evan Dando assume d’un air bravache de jouer des mélodies à la Beach Boys avec la fougue des Ramones ("Alison’s starting to happen"). Le disque se referme avec la reprise sensible de "Frank Mills" tirée du film "Hair" (1979) : clin d’œil d’Evan aux procès en chevelure que l’on lui intentait à l’époque ? Ou bien pressentiment de la fin d’années solaires et insouciantes ?