L'idée de Laurent Perrier est
alléchante : demander à trois artistes sonores (Felix Kubin,
Lawrence English, Gianluca Becuzzi) de lui transmettre leur matière
sonore brute pour la malaxer et la cuisiner à sa propre sauce : de
la glaise d'autrui, Laurent Perrier se propose d'extraire tant une
essence qu'une forme nouvelle. Quel beau projet ! Reste toutefois à
affronter cette matière, qui n'est pas toujours des plus
accueillantes…
Sur "Felix Kubin", nous suivons une
boule de son lancée à pleine vitesse dans des tuyaux gazeux,
terreux, aqueux – un peu à la manière d'un jeu vidéo dans lequel
chaque seconde correspondrait à une nouvelle séquence, à un nouvel
univers. L'expérimentation électroacoustique prend ici la forme
d'une absence de permanence. Il s'agit d'une musique d'hyper stimuli,
qui use, sans repos pour l'esprit.
"Lawrence English"
pousse à l'extrême cette logique de flux continu. Nous voilà dans
un vaisseau non identifiable qui n'aurait de cesse de prendre son
envol ; au menu, vrombissements ténébreux, bruits sourds, roulis
grinçant. Cette piste est aride, tel un désert de rythmes et de
mélodies. Est-ce une forme de proto-musique ou de post-musique ?
Nous dirions plus prosaïquement que nous avons affaire à une
musique à se taper la tête contre les murs. Un peu de luminosité
apparait toutefois pour qui sait la distinguer : quelques nappes
ressemblent à des textures harmoniques, quelques coups sonores
imitent des beats ; rien de plus.
"Gianluca Becuzzi"
est un peu la synthèse des deux temps précédents. Cette piste, la
plus aboutie de l'album, superpose, entre coma et songe, basses
profondes et petits scintillements aigus. Elle n'appelle ni une
écoute passive ni une sur-attention de tous les instants. Laurent
Perrier trouve alors une forme d'équilibre ; il ne s'agit plus
seulement d'exposer une matière brute (celle de Felix Kubin, de
Lawrence English ou de Gianluca Becuzzi) mais de restituer un travail
(le sien) visant à la forger et à la transformer : enfin un joli
moment à passer !