Beauté pour tous

La Maison Tellier

par Jérôme Florio le 23/11/2013

Note: 7.5    
Morceaux qui Tuent
Prison d'Eden
Exposition universelle


La Maison Tellier est un groupe de la campagne (normande) en campagne : "Beauté pour tous" est le programme politique de leur quatrième disque. Promesses tenues ?

La ligne suivie depuis leurs débuts est celle d'un folk-rock aux teintes très américaines. "L'art de la fugue" (2009) consacrait déjà un passage à la langue française : c'est désormais confirmé. Alors autant parler de la France. "Un bon Français", portée par des cuivres conquérants et un lyrisme rock déserté depuis Noir Désir, pourra faire couler de l'encre. Le texte remue le fond d'un délationnisme bien rance digne de la France de Vichy ; on peut bien sûr sans trop se forcer faire le parallèle avec la situation actuelle mais cela paraît un peu scolaire, du genre "j'ai bossé mon champ lexical sur le thème de la collaboration" : "corbeaux", "souche", "pain"… Va pour les années 30, pas plus.  

Le disque devient plus prenant quand il se contente du clair-obscur. Evocation de fantômes de cavalerie - hussards et dragons sabre au clair - sur "La fortune, l'honneur, les femmes (Loup blanc)" dans laquelle revient comme motif la figure du père. Laquelle sera bientôt foulée aux pieds par des enfants destructeurs dans le long final épique de "La maison de nos pères", où la guitare électrique reprend le dessus pour ne laisser derrière elle qu'un champ de ruines.
Le tournant du siècle pouvait pourtant laisser optimiste : "Prison d'Eden" et "Exposition universelle" (celle "à l'ombre de la Tour Eiffel" de 1900), exhalent un parfum sépia de fleurs fanées que l'on pourrait accrocher à la toilette de l'Odette de Marcel Proust. Le narrateur et sa conquête se baladent insouciants parmi toutes les merveilles de l'exposition (léger effet catalogue), sans y déceler les signes d'une chute imminente : la fin de l'empire colonial, le spectacle des "Indiens en cage"… France de 1900, France de 2010 : comme si la société ne voyait pas le gouffre sous ses pieds ("Sur un volcan").

Le parallèle s'arrête brutalement ici. La deuxième partie de "Beauté pour tous" choisit la désertion. "Love boat" prend le large avec une histoire de poursuite maritime, du "Moby Dick" (Herman Melville) en plus paisible. Ambiance mâle de marins – "Aux sombres héros de l'amer" ou plutôt, au vu des arrangements, "Aux sombreros de l'amer" ! "A rebours", "Petit lapin" ou "Les beaux quartiers" creusent un sillon rock à la fois plus lourd et enlevé.

L'ambition de "Beauté pour tous" ne se lit qu'entre les lignes, pour laisser au final un sentiment de confusion. En s'arrêtant en chemin, en troquant le microscope contre une longue-vue, La Maison Tellier ne tient ses promesses qu'à demi.



LA MAISON TELLIER Prison d'Eden (Audio seul)