| | | par Sophie Chambon le 19/06/2008
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| Benjamin Koppel, jeune saxophoniste danois a eu l'idée de former un quintette de jazz européen, avec Daniel Humair, batteur de légende, toujours partant pour de nouvelles aventures artistiques. Il sort "The european jazz factory", sur Cowbell, le label qu'il a lui même fondé en 2001, à Copenhague, auquel on devait le précédent "Paris abstractions", en trio avec le contrebassiste Palle Danielsson et toujours Daniel Humair. Ce label à la présentation soignée a choisi des peintures de Daniel Humair en couverture, certains titres faisant également référence à l'univers pictural, preuve supplémentaire de la transversalité des disciplines artistiques.
Le propos est de faire entendre une vision commune, fédératrice du jazz "européen" contemporain. Il s'agit de jazz en effet, avec le son d'un quintette classique. Une rythmique des plus efficaces, composée de Thommy Andersson (basse), Cédric Piromalli (piano) et Daniel Humair (batterie) entoure, supporte, soutient des soufflants superbes, le saxophoniste danois au soprano (et à l'alto sur trois titres) et le tromboniste bulgare, formidable Georgi Kornazov que nous apprécions en France depuis quelques années. Paris est en effet le point d'ancrage, de reconnaissance, le centre de ralliement d'une Europe musicale au sens large et sans exclusion.
Le compatriote sanois, le contrebassiste Thommy Andersson, qui a écrit trois compositions sur les douze, a un son profond et chantant, Cédric Piromalli pianiste de tous les coups, est terriblement efficace quand il s'engage. Le Français – on le connaît du groupe Triade - a commencé par la musique classique et le piano romantique ; passé au jazz, il en a gardé certaines influences intégrées en un jeu rond et mélodique. Il fait entendre un véritable chant de la main droite, fluide et lyrique. Même si on le sent lutter contre cette tendance, en cherchant plus d'angularité, de pointe - son travail sur Monk (il a sorti un solo chez Yolk en 2006) - l'a aidé en cela (Châtelet chill). Prêt à risquer des changements, à privilégier silence et dissonances, il a une complicité certaine avec Daniel Humair, qui fut son professeur au CNSM, quand celui ci donnait des cours de batterie pour non batteurs, faisant travailler le rythme. Daniel Humair s'illustre encore dans cet album avec son jeu unique et "visuel" répondant, développant, improvisant, ne se contentant pas de la seule fonction rythmique, toujours dans une démarche d'ouverture.
Sur des tempos lents, Benjamin Koppel a une des sonorités les plus belles qui soient, agile au soprano dans les aigus, et à l'alto, tendre et sous tension, avec un son droit et grainé. Quant il entrelace sa voix à celle de Georgui Kornazov, comme dans "Un tableau sans motif", le résultat est un régal. Koppel sait élaborer des phrases rythmiquement complexes avec un étonnant sens de l'envol. De l'énergie farouche de "Free bop a lula" à l'ambiance lunaire de "Poor Shostakovich" en passant par les espaces ventés de "Midnight mess at Musée d'Orsay", c'est le même sens de la construction, du développement et même du crescendo sur ce thème à l'ambiance et au titre évocateur de polar "The spy who"…
Le répertoire souligne un talent à entretenir une certaine tradition : blues, groove, solos expressifs, merveilleux unissons avec le tromboniste. Les thèmes composés confirment une vocation scandinave du jazz : il y aurait là-bas un véritable amour pour cette musique, une compréhension "climatique", une disposition particulièrement adaptée. Les compositions assez courtes dans l'ensemble sont d'une richesse thématique et d'une diversité d'émotion peu communes, déployant une palette de couleurs variées, toujours en recherche d'harmonie, du sombre à l'éclatant, de la teinte pastel à la dominante cuivrée. Voilà en tous les cas un album de jazz européen, qui peut traverser des frontières, porteur de sens et de vertus formelles. Profondément réjouissant.
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