| | | par Jérôme Florio le 09/05/2005
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| Peintre, écrivain, musicien, il n'y a que la mort, survenue le 2 décembre 2004, qui a empêché le débordant Kevin Coyne de poursuivre ses multiples activités. Même malade, il continuait à assurer des concerts ceux qui l'ont vu avec son appareil respiratoire sur la scène du Nouveau Casino, le 9 février 2004 à Paris, doivent s'en souvenir
Né à Derby en 1944, Coyne a suivi des études d'art, et comme d'autres de sa génération s'est pris de passion pour le rhythm and blues américain qui s'importait dans l'Angleterre au début des sixties. Porté par sa voix rugueuse et puissante taillée sur mesure, son groupe Siren signe en 1969 sur Dandelion, le label de John Peel, pour deux disques. Mais Kevin Coyne ("docker intellectuel", pouvait-on lire dans un Rock & Folk de 1974), à la différence d'un Joe Cocker, ne s'est jamais contenté de capitaliser sur son fonds de commerce : lorsqu'il se retrouve chez Virgin en 1973, il va progressivement s'éloigner du blues rock déjà décalé des débuts pour aller vers des expérimentations épurées proches d'un Robert Wyatt. Certains de ses disques, comme "Marjory razorblade" (1973), ont un solide statut culte.
Le début des années 80 est l'amorce d'une période délicate : des relations houleuses avec son label ; des problèmes de dépression et d'alcoolisme dont il ne verra le bout qu'à la fin de la décennie. "Pointing the finger" (1981) et "Politicz" (1982), enregistrés pour Cherry Red, sont des disques sombres qui portent la marque de ces difficultés, mais transcendés par la mise en scène et le chant incandescent de Coyne, qui évolue encore et s'entoure de musiciens issus du jazz rock ou plus simplement d'une boîte à rythmes.
Sur plusieurs titres de "Pointing the finger", il éructe à la manière d'un Robert Plant : "As i recall" évoque un Led Zeppelin corrigé par Francis Bacon. "Children of the deaf" est un court poème grimaçant accompagné par un jeu de basse fretless. De-ci de-là, des fragments de rhythm and blues font surface ("Song of the womb") : la chaleur véhiculée par la voix de Coyne se coltine avec un jazz rock glacial ("One little moment"). Des sonorités inquiètes contredisent les ironiques "we're all right" de "Sleeping-walking", somnambulisme frénétique d'un homme qui se débat pour briser les parois d'une cellule imaginaire et absurde ("Let love reside"). Une solution pour se refaire une santé : s'attaquer à un ennemi visible, cette bonne vieille Angleterre, clouée au pilori pour sa royale indifférence ("Pointing the finger"). Mais cette fois, c'est Saint Georges qui sera terrassé par le Dragon, mis en déroute par ces questions lancinantes sur l'identité, la perte de repères.
"Politicz" est un disque schizophréniquement coupé en deux, d'abord acoustique puis synthétique : son titre résume bien cette collection de protest-folk-songs déviantes. D'abord discrets, les synthés sont en embuscade sur "Liberation" et "Yer holiness", où Coyne impressionne par sa capacité à cracher sa désorientation comme de l'action-painting. Ils se font oublier sur "Flashing back" et sur la longue "Fun flesh", puis c'est le putsch, les têtes tombent et les dégoûtantes boîtes à rythmes cheap prennent le pouvoir à partir de "Tell the truth" : la disco viciée de "Magnolia street" croque acerbement l'hédonisme bête des boîtes de nuit, l'iconoclaste "Banzaï" crache sur la vie aliénante à l'usine (en s'approchant de "Working at the coal mine" de Devo). En toute fin, le retour à l'acoustique de "I've got the photographs" jette un éclairage différent sur ce qui précède. Comme on dit en politique, Kevin Coyne a fait de la récupération : en ramassant les matériaux à sa portée - les beat-boxes, les synthés -, dont il se sert pour peindre un tableau figuratif et grinçant de la décomposition contemporaine. |
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