Mannequin de métier, "the ghost who walks" est le surnom que l'on a attribué à Karen Elson au vu de son physique... spectral. Elle l'a donc récupéré comme nom de scène, et construit tout autour un univers où rien n'est laissé au hasard, du visuel – total look gothico-country – à la musique : une country sombre et classieuse bousculée par un rock plus lourd, parfaitement mise en oeuvre par son mari Jack White (des White Stripes)... ça vous a quand même une autre gueule que du Carla Bruni / Louis Bertignac !
Pour ce qui est de monter un groupe autour d'une chanteuse, Jack White n'en est pas à son coup d'essai : on se rappelle son boulot de producteur pour le "Van Lear Rose" de la revenante (on reste dans l'ambiance film d'horreur !) mamie country Loretta Lynn en 2004. Il y rodait déjà, sur un titre comme "Portland Oregon" (voir clip plus bas), une bonne partie du savoir-faire à l'oeuvre sur ce disque de Karen Elson. Esprit de son label "Third man" oblige, White convie ses potes musiciens (il y a des Raconteurs et des Dead Weather au casting) et colle dans les fines mains de Karen une vieille Gibson sans doute hors de prix : authenticité assurée, ici point de croûton digital. Jack prend intelligemment le contre-pied de l'image vaporeuse de Karen et donne du poids, de la présence physique, aux compositions de sa compagne. Bien que l'on ne trouve pas ces dernières d'un intérêt confondant, elles sont néanmoins très bien mises en relief et chantées, avec une belle patine sonore "vintage" et des renvois perpétuels à ce que le rock au sens large a de plus racé : on croirait par exemple entendre les guirlandes de clavier de Ray Manzarek (The Doors) sur le pont de "The ghost who walks". Jack White ne se prive pas non plus de s'auto-citer, à entendre les breaks de guitare et de batterie qui dynamitent "The truth is in the dirt" en son milieu comme du pur White Stripes.
Passé la moitié du disque, l'intérêt faiblit et le "fantôme" Elson n'est pas loin de se dissoudre... la faute à l'ambiance entre-deux guerres un peu facile de "100 years from now" ; ou la mélodie de "Stolen roses grow", très fortement inspirée de "Where the wild roses grow" (Nick Cave / Kylie Minogue) et de "Scarborough fair" (Simon & Garfunkel). Propulsée assez haut par un artificier hors-pair, "Garden" est bien plus mordante. Le son de la section rythmique sur "The birds who circle" évoque des seventies baba-cool, sur une structure blues on ne peut plus classique. Pour terminer, la brusque montée en puissance de "A thief at my door" ne contredit pas une fin du disque plus alanguie (pedal-steel sur "The last laugh").
"The ghost who walks" atteint un bel équilibre entre mise en scène très étudiée (pour le côté très consciente d'elle-même et de ses mouvements de Karen Elson) et pur plaisir d'écoute : un disque bien balancé de plus à mettre au crédit de Jack White. Karen, qui rappelons-le a tout composé, a les épaules assez joliment faites et solides pour le porter.
KAREN ELSON The ghost who walks (Live at Third Man Records)