Fire

Julien Lourau

par Sophie Chambon le 09/04/2005

Note: 8.0    

Présenté comme un événement, le nouvel album de Julien Lourau prend la route des tournées avec une cargaison de surprises : poursuivant sa trajectoire, l'éclectisme engagé du jeune saxophoniste a trouvé à s'exprimer dans une aventure collective, où ses influences multiples retraversent des courants actuels dans un libre processus expérimental. Ce premier volet sera suivi d'un autre "Forget", mais tous les thèmes sont issus d'une même session.

Il l'avait annoncé, il reviendrait après "The rise" son précédent album, celui de la "maturité", à un style plus actuel. Il nous propose donc avec la même équipe, plus Eric Löhrer aux guitares et une kyrielle d'invités, chanteurs pour la plupart, un album d'électro-jazz. avec reverb, effets techno, mixant hip hop, acid jazz et urban music. S'il s'écoute en continu, l'enchaînement des titres impose très vite sur la première partie de l'album, sa couleur sombre et décalée : avec le premier titre "Fire and forget" (expression militaire anglaise à laquelle il répond avec humour dans le final "Messieurs les Anglais, tirez les premiers") il tire à boulets rouges avec une artillerie d'acier, le pilonnement continu du batteur Daniel Bruno-Garcia. Les chanteurs de passage trouvent leur place : dans un registre original de "spoken word", avec tout le talent de sa voix rauque, John Greaves réussit deux titres "A stitch" suivi du lancinant et très émouvant "Don't save me". "Allonymous" sur un beat binaire, dans un phrasé proche du rap nous lance dans une course poursuite hypnotique, dans "Sometimes" digne d'un film noir. Mina Agossi est présente sur un titre "La boucle" au texte susurré, peu audible, ce qui n'est peut-être pas plus mal, mais suffisamment inquiétant zébré des décharges, des biffures de saxophones.

Si Julien Lourau fait valoir son esthétique jazz au saxophone ténor ou au soprano, il s'amuse à la brouiller par l'entremise de Bojan Z au synthétiseur CX3, et au piano Fender, ou avec Eric Löhrer aux guitares saturées. Pourtant on est toujours agréablement surpris de le retrouver sur le versant jazz, n'oubliant pas ses racines, même si dans cet album, ses solos sont plus rares.
C'est avec l'inattendu "Lisa and Flavio", ballade plus "fleur bleue", au soprano, que se fait la rupture. Comme Julien Lourau aime aussi, viscéralement, les rythmes latins, sensuels et chaloupés, l'album bascule dans une seconde partie plus dansante. Il nous le prouve en détournant un peu plus loin le rythme de la salsa, appuyé par la voix de Sébastien Quesada dans "Guantanamo". Le seul risque de cet album est de chercher sa voie, de partir dans plusieurs directions. La preuve en est le dernier titre, où la fracture est nette : se refusant à choisir, la musique s'interrompt avant de repartir ailleurs, suivant une tout autre piste.

Cet album plutôt "tendance" devrait plaire à un public jeune et branché. Mais comme on aime Julien Lourau, on ne mettra pas en cause la sincérité de ses choix. Peut-on reprocher à un "amateur" au sens noble du terme, à un "touche-à-tout"doué de se disperser ? On lui fait confiance, il a toujours bifurqué après chaque album vers de nouvelles expériences. C'était le sens même de "Gambit". Il devrait cette fois encore franchir brillamment l'étape de la scène et fournir un spectacle total.