N'importe qui pouvait se pointer vers
dix heures du soir à la Maison de l'ORTF (aujourd'hui de Radio
France), passer une des portes à tambour restée ouverte, entrer
dans le grand hall plongé dans la pénombre, et gagner les quelques
marches à droite et l'entresol, guidé par le brouhaha des
conversations, les lumières tamisées et la musique, et entrer dans
le Saint des Saints, le Bar Noir, où l'aimable et cultivé José
Artur, assis sur la moleskine parmi le monde orchestrait chaque soir
les trois heures de son "Pop Club".
Les invités du
début restaient généralement jusqu'à la fin et vers minuit,
l'endroit enfumé à l'extrême (Claude Villers, assistant d'Artur
n'y allait pas de main morte avec ses havanes en barreaux de chaise, d'autres avec
d'autres choses), entre un Grand Magic Circus en pleine délire, une
Micheline Presle décalée et une gloire du théâtre sur le déclin
accueillait son groupe rock underground de la soirée, pour une jam
qui parait aujourd'hui impensable dans les murs très politiquement
corrects de la radio d'État.
L'INA entreprend une collection
de CD dédiée à José Artur et notamment au Pop Club. Ce premier volume reprend en
intégralité la deuxième heure de l'émission du 28 septembre 1972,
qui accueillait Georges Brassens, ami de longue date
d'Artur, qui venait souvent au Pop tester de nouvelles chansons auprès de la centaine de personnes présente. Brassens en chante quatre ou cinq, mais l'intérêt
est ailleurs, dans la connivente bonne humeur, les traits d'humour
(Artur imbatable), un art de papoter intelligemment jamais égalé ni
retrouvé depuis, laissant toujours la part belle aux invités,
eux-mêmes pas forcément en promo mais souvent là
parce qu'ils avaient juste envie de dire bonjour. On passait
au Pop Club, sans y être forcément programmé. Heureux temps !
Un
bel endroit, une belle émission pour laquelle le galvaudé et
dévalué adjectif "culte" reprend tout son sens. Espérons
que l'INA osera rééditer les plus folles de ces soirées
radiophoniques.
"Il y a deux sortes de radio,
celle qu’on entend la journée et celle qu’on écoute le soir"
(José Artur)