Crépuscule des grands festivals pop, l'Ile de Wight vient clore une parenthèse bénie où pendant trois ans les étés se sont passés à tailler la route, en stop ou dans des bagnoles dénichées dans les annonces route d'Antirouille, le magazine pratique du hippie français (quand Actuel en était sa bible plus intello).
En 1970, que ce soit à Biot où à Aix en Provence en France, ou à l'ile de Wight en Angleterre, les festivals tournent au bordel, par amateurisme des organisateurs - à Wight ils doivent gérer sur cinq jours les plus gros noms du déjà business du rock - et par les revendications (minoritaires) de ceux qui réclament la musique gratuite et cassent les barrières.
L'affiche du samedi est monstrueuse avec Emerson Lake & Palmer, Ten Years After, Sly & The Family Stone, Miles Davis, les Who et les Doors. Joni Mitchell, à l'instar de ses compatriotes folkeux Tiny Tim, Shawn Phillips, John Sebastian et Melanie y est prévue en soirée, comme pause acoustique entre les gros sets.
Seulement, devant la tournure des événements dans l'après-midi, aucun groupe n'a le cran de monter sur scène. Poussée par son manager Elliott Roberts (Neil Young), Joni monte affronter le brouhaha.
En longue robe de laine à manches longues et en bottes (un 29 août !) son allure détonne légèrement devant les dizaines de milliers de torses nus. Inquiète mais téméraire et bienveillante elle va offrir un set décousu et cahotique, interrompu plusieurs fois, abandonnant la guitare debout cernée par les amplis des Who pour un piano plus à l'écart où elle est visiblement plus à l'aise (belle version de "Woodstock"). Dans cette adversité qu'elle parvient à calmer, puis à captiver (elle aura un rappel), Mitchell affirme déjà tout le talent que sa carrière à suivre portera au firmament. Des compositions sohistiquées, toutes en nuances, une voix dont elle fait ce qu'elle veut, mais surtout, au-delà de la chanteuse folk, une grande musicienne et rythmicienne, en témoigne sa deuxième version de "Both sides now", où elle impose un tempo impeccable de swing et y pose sa voix à sa guise.
Ponctué par une interview actuelle, où elle raconte cette journée qui visiblement l'a marquée, ce documentaire est plutôt émouvant, par nostalgie de ces grands événements, mais surtout par la découverte visuelle de ce qu'était une prestation de Joni Mitchell en 1970, prestation qu'on regarde évidemment aujourd'hui en connaissant la
carrière qui va suivre, la musique qu'elle va créer, le style folk-jazz qu'elle
va développer à la suite de Tim Buckley. Les débuts d'une dame.