Archives vol. 4 - the Asylum years (1976 - 1980)

Joni Mitchell

par Francois Branchon le 15/11/2024

Note: 9.5    

Le volume 4 des archives de Joni Mitchell relate la période - de 1976 à 1980 - la plus audacieuse de sa carrière. Disquaire en 1976, je me souviens combien furent déroutés les fidèles de Mitchell à la publication de l'album "Hejira". De sa pochette en noir et blanc - plus Faye Dunaway que Joan Baez - aux morceaux, infusés du jazz le plus inventif du moment, sous la conduite et l'influence du bassiste prodige Jaco Pastorius, tout juste intégré au groupe Weather Report... Le folk bucolique dans la prairie était bien loin, et la suite le confirma : "Don Juan's reckless daughter" l'année suivante, puis "Mingus" (son hommage au contrebassiste juste disparu) jusqu'à l'album en public "Shadows and light" (1980), furent tous conçus par le duo Mitchell-Pastorius, intégrant même Wayne Shorter, Gerry Mulligan, Stanley Clarke, Jan Hammer et Phil Woods pour "Mingus" (1979) et Pat Metheny et Michael Brecker ("Shadows and light").

Compagnon essentiel du coffret "The Asylum Albums 1976-1980" (les albums studio remastérisés), "Archives, Vol. 4" révèle le work in progress des albums, ainsi que leurs présentations sur scène, quand ils prennent vie, fournissant abondance d'interprétations. Mais surtout, au fur et à mesure que le jazz s'immisce dans sa création, Mitchell aborde le genre comme une innovatrice, et non une banale touriste artistique. Et par chance, pour chacun des albums concernés, les répétitions en studio lors des mises en place des morceaux avaient souvent été enregistrées. Et cela donne des bonus au vrai sens du terme.
Quelques exemples : il est fascinant lors des sessions de "Mingus" d'entendre Pastorius, tentant de suivre Joni sur "The wolf that lives in Lindsey", et lâcher presque au hasard des coups de basse. Le producteur Henry Lewy enregistra une répétition de Mitchell seule au piano de "Don Juan's reckless daughter" et un embryon de "Paprika plains". La bande, retrouvée, est annoté d'un significatif "Save magic" !
Lors d'un festival No Nukes à Washington DC (les grands rassemblements anti-nucléaires américains de l'année 79), Mitchell est présentée par Graham Nash pour interpréter "Big yellow taxi". Elle en change opportunément les paroles "They paved paradise and they put up a nuclear hot spot" (Ils ont pavé le paradis pour y mettre un site nucléaire). 
Plus baroque, on remarque une bonne place accordée à sa participation à la Rolling Thunder revue de Bob Dylan en 1976 - cet interminable barnum sous cocaïne dont on se demande comment elle sortit indemne - ainsi qu'une reprise échevelée de Pastorius du "Third stone from the sun" d'Hendrix au stadium de Forest Hills.

Forte de son passé brillant Joni Mitchell aurait pu capitaliser et suivre les sentiers battus, récitant comme beaucoup lors de tournées régulières des chansons assurées de succès. Au contraire, tout au long de la deuxième moitié des années 1970, elle a orchestré - intrépide - la mue de son folk vers le jazz, préférant prendre le risque de réinventer son style en créant une fusion folk-jazz presque inédite (Tim Buckley avait emprunté ce même chemin en 1969 après "Happy sad" avec "Blue afternoon" puis "Lorca" et "Starsailor"). Mais au contraire de Buckley, qui se perdra dans un free-jazz aride, Joni Mitchell sut atteindre de nouveaux sommets en restant toujours fluide. Une artiste. Une artiste ne gardant de son passé que des bribes, une voyageuse, avec un grand V.


JONI MITCHELL Coyote/Don Juan's reckless daughter (Live at Music Hall, Boston 1976)


JONI MITCHELL Black crow (Démo)



JONI MITCHELL A strange boy (Démo)