Live at Montreux 1994

Johnny Cash

par Francois Branchon le 13/05/2005

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Ghost riders in the sky
Redemption


Le Festival de Jazz de Montreux - Montreux Jazz Festival pour parler comme les Suisses - est né en 1967. De jazz il n'a guère justifié le nom qu'à ses tout débuts, puisque dès 1968, Brian Auger et Julie Driscoll y sont invités en pleine gloire pop de "Save me". Les groupes blues, rock puis world du monde entier - près de 4000 à ce jour - se sont produit dans ce lieu qui doit tout à son fondateur et programmateur, Claude Nobs, homme de goût sachant choisir, anticiper et offrir aux artistes le confort suisse, les couchers de soleil sur le Lac Léman et des prestations de haut niveau. Par ailleurs homme d'affaires avisé au fait des arcanes du business de la musique (il présidait Warner Europe jusque dans les années quatre-vingt dix) Claude Nobs, sachant que les contrats des jazzmen ne les lient pas pour les concerts, a enregistré en audio tous les concerts de Montreux et depuis quinze ans les filme (ceux qui ont visité les caves du Monsieur peuvent raconter leurs vertiges...). Essor du Dvd oblige, est apparue la collection "Live at Montreux", distribuée par le label Eagle.

Le concert de Johnny Cash du 5 juillet 1994, qui ouvrait la tournée européenne de l'album "American recordings", est une de ses premières sorties. Premier constat, d'ordre technico-artistique : les trois gars qui filment sur scène caméra à l'épaule savent ce qu'ils font, savent zoomer quand il le faut sur le musicien qu'il faut, connaissent - aiment ! - les musiciens pour les montrer avec autant de feeling. Ce n'est pas demain la veille que chez Guillaume Durand ou Nagui (nos derniers vestiges de musique live à la télé) les doigts du placide Robert C. Wootton dessineront ainsi sur l'écran le solo de "Ghost riders in the sky"...

Le concert est en trois parties, un intermède solitaire à la guitare acoustique en occupe le centre, le temps de six chansons. Johnny Cash, pas encore gravement malade, est fatigué, s'essouffle et sue sans bouger, mais les sourires complices indiquent la joie de jouer, d'être sur scène avec ses vieux complices, le batteur WS Holland, le bassiste David Roe Rorick et surtout le guitariste Bob Wootton, statue de commandeur déboulonnée du saloon, immobile, sorte de Harry Dean Stanton texmex qu'on verrait bien en frère de cuite muet du Markku Peltola de chez Kaurismäki, la guitare électrique rouge vif en seule concession au monde moderne. Et il distille le bougre, s'insinue, et peu lui en faut, un médiator aérien par ci, quelques arpèges graciles par là, l'antithèse parfaite d'un Cash souriant, à la voix troublante et chaude toujours, mais si grave et si posée.

Le concert s'ouvre et se ferme avec le groupe et quelques Casheries, les immuables "Folsom prison blues" et "San Quentin", "Get rhythm", "Sunday morning coming down", "I guess things happen that way", "I walk the line", "Orange blossom special", "The next time i'm in town", les reprises de "Ring of fire" et "Ghost riders in the sky".
Mais c'est en solitaire, assis dans le faisceau solaire d'un spot, avec une guitare acoustique noire, que Cash présente les chansons du nouvel album "American recordings" : très intime avec "Delia's gone", poignant avec la reprise de "Tennessee Stud" (un classique d'ordinaire plus trivial), une version presque désespérée de "Bird on a wire" de Leonard Cohen, occasion de gros plans sur les yeux, fatigués. "Let the train blow the whistle" et "The beast in me" suivent, avant un "Redemption" époustouflant de beauté pudique et rentrée, mais dont une jubilation s'échappe de chaque mot. Salle en larmes.

Le seul temps faible en parait du coup anecdotique, l'arrivée sur scène de June Carter Cash pour deux titres en duo avec son mari. Car malgré l'émotion de revoir côte à côte les deux disparus, le respect qu'impose la carrière et l'histoire de la fille de Maybelle Carter, il faut supporter sa voix, éraillée et forcée (mais putain pourquoi crie-t-elle ??) sur "Jackson" (leur premier "tube" en 1967 juste après leur rencontre, repris du duo des Sinatra père et fille de 1966) et plus encore sur "Will the circle be unbroken", LE standard de la dynastie Carter, joyeusement massacré. A cette occasion le fiston, (John Carter Cash, sosie de Mike Love) qui fait fonction de guitare acoustique rythmique derrière son père durant tout le concert, y va lui aussi de son couplet.