Overnight

John Taylor, Riccardo Del Fra & Kenny Wheeler

par Sophie Chambon le 27/05/2002

Note: 9.0    

Fidèles à ces histoires de rencontres qui lient à jamais les musiciens, John Taylor a peu enregistré sous son nom mais a suivi par contre les différentes formations de Kenny Wheeler depuis trente ans. Quant à Riccardo del Fra, contrebassiste du groupe de Thierry Péala dont Kenny Wheeler est le pivot, il a déjà joué dans un autre groupe du trompettiste avec Evan Parker, Paul Motian et… John Taylor.

Le résultat est, sans détour, un album de jazz, qui confirme la prédilection de Philippe Ghielmetti, le producteur du label Sketch pour les contrebassistes et les pianistes. Auquel s'ajointe la trompette lumineusement fragile de Kenny Wheeler. La triangulaire, en jazz du moins, est une forme harmonieuse. Elle continue à faire ses preuves et là, elle atteint un équilibre parfait. Onze pièces réparties entre Kenny Wheeler et John Taylor, Riccardo del Fra ne composant que deux titres mais s'insérant parfaitement 'entre les lignes', dans l'écriture de ses complices. Son incroyable entre trompette et bugle, lointain, léger et profond à la fois, comme un soleil noir, qui plonge dans une rêverie pleine de vivacité mais aussi d'apaisement. Qualité des lignes chantantes de la basse et de l'attaque du pianiste, qui constituent une rythmique autonome sans la puissance de feu d'une batterie. Le piano installe doucement son climat, momentanément apaisant et la contrebasse réplique mimétiquement, alors que la trompette se détache, s'arrache pourrait-on dire douloureusement.

On est frappé par la cohérence de ce superbe trio, qui déroule les thèmes dans un climat unitaire, selon les interventions de chaque soliste, renouvelées et prolongées à l'infini. Des ballades un peu mélancoliques, sans aucune mièvrerie, des mélodies lyriques et tendres sans emportement mais qui vrillent l'âme comme le son du trompettiste dans l'aigu. Des inflexions qui se brisent alors, des volutes sonores qui se déchireraient sans le renfort et l'interaction complice de la basse et du piano. Il y a là une intelligence de jeu et d'écoute rares. Résonances vices, balancement poétique dans "The strange one", ou "Soldering one", douce intensité dans un climat volontairement nocturne, lancinant et obsédant.

Captif de cette chaîne tressée par les trois comparses, on reste à l'écoute de cette musique étrangement familière qui raconte des histoires, comme pour arrêter la fin, jusqu'au seuil du matin. D'où le titre de l'album "Overnight" que souligne sur une partie de la pochette la couleur bleue d'une nuit transfigurée.