| | | par Sophie Chambon le 09/08/2004
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| Voici un disque magique, véritable ovni dans l'univers actuel, qui nous parvient, réédité sur le label Emarcy. Enregistré live au "Miles smiles Jazz Café" à Vienne en Autriche le 3 mai 1991 par le trio du saxophoniste Jim Pepper, qui dut annuler sa tournée peu de temps après, souffrant déjà du cancer qui devait l'emporter en février de l'année suivante, il est donc l'un de ses derniers enregistrements. D'où ce sentiment étrange d'assister à des moments rares et intenses que souligne la fraîcheur du live qui jamais, ne s'accommode.
On comprend mieux le titre de l'album (intitulé initialement "Bear tracks") en entendant la complainte "Polar bear stomp", écrite par Jim Pepper quand il vivait à Juneau en Alaska : un blues sur tempo medium que dirige avec humour le saxophoniste, en feignant d'abord de remercier le public : "donkey donkeys donkeys feeling big donkeys", avant de s'engager dans ce refrain : "I hates the man who said all bears shit in the woods, cause I don't, Grrrrr -- I'm a polar bear, yes sir am"
Jim Pepper est comme un personnage sorti de l'univers de l'écrivain du Montana Jim Harrison, dont il semble avoir la truculence et la vigueur, l'appétit illimité : mieux, il incarne cet ours polaire avec la bonhomie que nous prêtons, nous autres de la Vieille Europe, à cet animal que nous ne connaissons que parqué dans des zoos ou par les dessins animés : il parvient même à faire participer le public qui reprend en chur, visiblement ravi. Avec une petite formation réduite à un trio très soudé - Wayne Darling à la basse et Bill Elgart à la batterie - on est plongé au cur de cette performance chantée et instrumentale. Jim Pepper introduit longuement les chansons et se fâche même en demandant plus d'attention, quand il doit s'interrompre sur son morceau-signature "Witchi tai to" que reprirent - c'est dire - Keith Jarrett, Jan Garbarek ou Jack DeJohnette. Les compositions sont toutes inspirées de la mythologie et des traditions de ce "native" Amérindien comme ce "Squaw song" ou ce "Lakota song" du Dakota. L'indianité est inscrite au cur de sa musique et de sa voix, il chante avec les instruments traditionnels, s'accompagne de cloches et crécelles, faisant lui même sa propre percussion dans un solo envoûtant "Ya na ho". Incantation, plainte, cri et mélopée se retrouvent dans son jeu au ténor et au soprano qui soutient et prolonge la puissance et la raucité du grain de la voix. Le seul traditionnel anglo-saxon repris est "greensleaves" fait écho à la version coltranienne de 1961 : cela commence par un solo de basse, à vif, presque primitif, ponctué par la batterie avant que le ténor n'entre en scène exalté et lyrique. Attachant et sincère dans ses longues improvisations exacerbées, soutenues par une section rythmique haletante, on ressort de l'écoute de cet album ému et conquis. Non ce n'est jamais "le bon jour pour mourir". |
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