Bicoque victorienne bariolée
voltigeant haut dans le ciel de 1967 ("After bathing at
Baxter's" en apothéose), le Jefferson Airplane des débuts
s'est vite alourdi au fil du temps, mutant en forteresse volante,
gros cargo meublant les charts et les stades. Mais l'équipage,
scindé en sous-groupes, qui eurent rapidement leurs sous-vies
discographiques (Hot Tuna, Jefferson Starship), elles mêmes
compliquées par les projets solo (Grace Slick, Marty Balin, Joey
Covington...) vit sa cohésion devenir si aléatoire que l'avion
explosa en vol en 1972.
Cependant, malgré leurs dissensions
artistiques (et parfois conjugales, Slick baguenaudant d'un lit à
l'autre), tous étaient avant tout une "famille", qui avait
sa "maison", le label Grunt, propriété du groupe, crée
en 1970 pour garder les coudées franches vis à vis de la
multinationale RCA. Aussi, lorsque vient l'idée en 1976 de faire un
bilan, la famille n'a aucun mal à réunir chaque pion de l'histoire
(chaque enregistrement lui appartenant). Et Grunt publie un double
album testamentaire, conçu "dans l'esprit", à savoir sans
l'obligation commerciale d'un "best of". Pensez, la version
studio de "Somebody to love" n'est même pas au programme,
un vrai motif de se faire saquer pour n'importe quel cadre Sup de Co
de chez RCA...
La bien nommée "Flight log" (la
boite noire) est simplement chronologique, picorant un titre
(quelquefois deux) de chacun des albums. La limpide ballade "Come
up the years" ("Takes off" - 1966) ouvre la liste,
suivie de "White Rabbit" et "Comin' back to me"
("Surrealistic pillow" - 1967), "Won't you try
saturday afternoon" (le final de "After bathing at Baxter's
- 1967), "If you feel" et surtout "Greasy heart"
(le plus excitant du sous-estimé "Crown of creation" -
1968), "Somebody to love" quand même, mais en version live
explosée ("Bless it's pointed little head" - 1969).
Meilleur succès de l'Airplane, l'album "Volunteers" (1969)
n'est pas oublié, et même si on aurait aimé un "Good
sheppard", on se console avec l'épique "Wooden ships",
co-écrit avec Crosby et Stills et sa fin toute en plaintes de
wah-wah kaukonienne. Un Kaukonen qui en 70, forme Hot Tuna avec
Casady - "Hesitation blues" en est l'emblématique morceau
du premier album ("Live at the Berkeley New Orleans House"
- pendant qu'en parallèle Kantner et Slick imaginent le vaisseau
Jefferson Starship, pas encore successeur de l'Airplane mais plutôt
auberge espagnole où se retrouvent les musiciens amis de la Baie,
Jerry Garcia, Mickey Hart et Bill Kreutzmann du Grateful Dead, David
Freiberg de Quicksilver, David Crosby et Graham Nash de CSN, Harvey
Brooks de Canned Heat... - l'évanescente ballade de clair de lune
"Have you seen the stars tonite", dentelée de la guitare
interstellaire de Garcia, aura accompagné des tonnes de résine
parties en fumée ("Blows againt the empire" -
1970).
Forcément, la deuxième partie de "Flight log"
est plus disparate, les chemins de chacun divergeant de plus en plus,
la carrière de Hot Tuna - notamment - s'emballant, Kaukonen et
Casady ne supportant plus les stades et les 250 concerts par an.
"Silver spoon" (du 2ème Starship, "Sunfighter"
1971) ouvre le Cd2, suivi de "Feel so good" et "Pretty
as you feel", deux (excellentes) compos de Kaukonen pour
l'avant-dernier album studio de l'Airplane ("Bark" - 1971)
et de "Milk train" de Slick ("Long John Silver -
1972), trois traces des derniers enregistrements studio de l'avion
avec son équipage historique au complet.
La suite offre des
merveilles, "Ja da" du troisième Hot Tuna ("Burgers"
- 1972), "Come again? Toucan" de l'album solo de Slick
("Manhole" - 1973) ou "Genesis", ballade
solitaire de Kaukonen (et la plus belle de ses oeuvres à mon goût)
qui ouvrait son premier album solo ("Quah" - 1974), mais
aussi des temps faibles, ces morceaux gras et sans énergie qui vont
caractériser le Jefferson Starship à venir, héritier officiel de
l'avion dans les stades à partir de 1974, "Ride the tiger"
("Dragon fly" - 1974) ou "Please come back", un
inédit enregistré live au Winterland de San Francisco en 1976, une
arthrose déjà ressentie dès "Sketches of China" (la
fille de Kantner et Slick, pas l'Empire du Milieu) du troisième
Starship ("Baron von Tollbooth & the chrome nun" -
1973).
En 21 morceaux, "Fligt lllog" fait défiler
l'histoire d'un groupe fondateur et innovateur, dont certains membres
participent toujours de la musique américaine, certes repliés sur
le classicisme du blues, mais fidèles à une éthique. Conçue avec
intelligence et sens artistique, cette anthologie, malgré ses
impasses - le dernier album officiel de l'Airplane ("Live at
Winterland" - 1972), les albums solo de Marty Balin ("Bodacious
DF" - 1973) ou du batteur Joey Covington ("Fat fandango"
- 1973) - est une réussite dont on salue la réédition,
curieusement pas par RCA comme la logique le voudrait, mais par le
petit label anglais BGO.
JEFFERSON STARSHIP 1970 - Have you seen the stars tonite