Il était surprenant en fin d'année
2011 d'entendre sur les média Philippe Manœuvre faire la promo de
son émission "mythique" (sic) en revendiquant d'avoir eu
dans son programme toute la crème de la funk mondiale, parfois en
avant-première. Ah ! Et de se rengorger, avec la fierté légitime
du balèse pionnier, citant Michael Jackson, Prince et tous les
autres... Notre mémoire nous trahissait-elle... ?
Les
Enfants du Rock - respect Pierre Lescure - furent en 1982 un
événement épatant et salvateur : enfin de la musique à la télé,
près de trois heures à 20h30 chaque jeudi soir ! Si globalement la
musique y était bonne, les émissions-rubriques, hebdomadaires ou
mensuelles ne se valaient pas toutes.
Il y avait les bien
foutues, "Houba houba" (de Caunes) ou "Rockline"
(Bernard Lenoir) dédiés au pop-rock, avec reportages, actualités
et extraits de concerts, "L'impeccable" sur la Bd (par
Jean-Pierre Dionnet, rédacteur en chef de Metal Hurlant, LA revue Bd
et rock de référence d'alors), l'excellentissime "Haute-Tension"
du visionnaire Alain Burosse (futur créateur de "L'œil du
cyclone" sur Canal Plus), émission à l'habillage toujours
original et inventif qui donnait la part belle à la cold wave,
l'underground musical de l'époque (Cure, New Order, Lynch, Wire, Cocteau Twins, Tuxedo Moon...).
Mais
il y avait aussi les robinets à clips, "Rock'n'roll Graffiti"
pour les nostalgiques 50's et 60's animés par les inoffensifss
Groucho Business et Chico d'Agneau (Alexandre Marcellin et Sam
Choueka) et, chaque mois en fin de soirée "Sex Machine",
également conçue par Jean-Pierre Dionnet et officiellement dédiée
à la musique noire (funk ou soul). L'influence de la Bd se sentait
dans le scénario et son habillage : deux clanpins refoulés de
manière récurrente d'une boite de nuit (le Sex Machine), prétextes
de sketches encadrant les clips.
Qu'en reste-t-il aujourd'hui
? Ces fameux sketches sont allègrement bâclés, obsédés par le
cul dès le générique (une fille à poil sous la douche) et
surtout, sont joués de manière pitoyable (Jo-Wilfried Tsonga pour
Kinder Bueno est meilleur), aussi bien par Dionnet et Manœuvre par
leurs "guests stars" (Sophie Favier, Jean Roucas, Phify le
garde du corps du groupe Téléphone. On plane au niveau
Collaro.
Quant à la musique choisie par Manœuvre elle n'est
en rien chercheuse de l'originalité de son époque, se contentant de
passer les clips sans risque du top américain présent (soul) ou
passé (disco), Michael Jackson, Prince, Greg Kihn, un vieux Marvin
Gaye, Rick James, "Le freak" de Chic... Passages à sauver,
la regrettée Pauline Laffont au générique et une ou deux des
seules véritables présences de groupes dans l'émission, tous
français, à qui il était demandé de faire une reprise du morceau
"Sex machine". Lavilliers par exemple s'en tira plutôt
bien, jouant le jeu brownien jusqu'au bout (à voir
ci-dessous).
Sketches mauvais et clips aujourd'hui tous
visibles sur YouTube : faut-il que la nostalgie soit rentable pour
concevoir de telles rééditions ! Ou alors miseraient-elles sur un
public jeune et manipulable de type Nouvelle Star (le nouveau lieu
d'épanouissement de Philippe Manœuvre) ? Nous suggérons aux
maisons de disques en mal d'idées de s'intéresser par exemple à ce
"Haute Tension" déjà évoqué, la plus expérimentale et
jouissive des émissions des Enfants du Rock, qui soutenait
vaillamment et presque solitairement (avec "Feedback" de
Bernard Lenoir sur France Inter) cette cold wave que le critique rock
du mensuel très en vogue Metal Hurlant (un certain... Philippe
Manœuvre) débinait alors à longueur de colonnes.