Revenu des grands espaces américains où hurlent les coyotes ("Le cours
ordinaire des choses", 2009), "Grand lièvre" signe le retour au bercail
de Jean-Louis Murat et assure en même temps sa métronomique livraison
quasi-annuelle : l'Auvergnat a eu cette fois envie d'une musique assez
chaude – guitare douze cordes, basse, batterie et orgue – sur laquelle
il se prélasse à la manière d'un gros matou séducteur plus que comme un
chaud lapin.
Murat laisse la provoc' à ses prises de paroles,
souvent jouissives, dans la presse. Sur ses disques, c'est toujours du
beau travail soigné, exigeant envers lui-même (bien que le Jean-Louis
sache faire dans la grosse déconnade, voir Les Rancheros). Les premières
mesures de "Qu'est-ce que ça veut dire" posent un groove charnu, avec
la basse ronde du fidèle Fred Jimenez. Murat semble avoir intégré l'état
d'esprit laid-back de la
musique Us : ce titre en est un bon exemple. Sur cette trame,
l'Auvergnat aborde des thèmes variés qui vont de la famille, la guerre
("Rémi est mort ainsi"), l'enracinement ("Haut Arverne") et son
contraire l'exode rural ("Vendre les prés", qui aurait pu servir de
bande-son à la trilogie documentaire de Raymon Depardon sur les
paysans). Murat sait éviter l'écueil de la "chanson à thème" et garde de
la hauteur grâce au style de ses textes. "Alexandrie", comme "Qu'est-ce
que ça veut dire", s'étirent un peu longuement, et de manière plus
générale, le chant chamallow renforce une sensation de monochromie.
"Vendre les près" sonne même un peu jazzy cheap,
mais ce n'est pas la première fois (on peut remonter jusqu'au
synthétique "Cheyenne autumn", 1989). "Je voudrais me perdre de vue" est
un titre programmatique qui résume le propos de la chanson, dont
l'écoute s'avère du coup presque superflue. Jean-Louis Murat a coupé
dans le vif de ses textes, ce qui donne parfois l'impression d'une
accumulation d'images cinglantes à travers desquelles on a un peu de mal
à se frayer un chemin ; mais on peut aussi se laisser simplement porter
par le côté tout bonnement agréable de l'ensemble.
Accentuons
notre attention sur les temps forts : la rythmique conquérante et la
couleur rouge sang de "Sans pitié pour le cheval" dans laquelle Murat se
retrouve dans la peau d'un troufion (en un seul mot !) pris sous le feu
de l'une des batailles de la Marne lors de la première guerre mondiale.
En bon grimpeur, Jean-Louis produit l'effort dans l'ascension finale :
"Le champion espagnol" (Federico Bahamontès ? Miguel Indurain ?) avec
ses notes de douze cordes carillonnante puis "Les rouges souliers" au gimmick de
guitare acide et efficace, dégageant un lointain parfum de western. Une
énième variation sur l'amour, sujet inépuisable pour le chanteur.
Avec
"Grand lièvre", Jean-Louis Murat reste à la fois à côté en au-dedans du
peloton de tête de la chanson française, toujours dans les échappées au
panache et sans un regard pour les suiveurs.
JEAN-LOUIS MURAT Sans pitié pour le cheval (Live Le Figaro 2011)