"Blunderbuss" a beau être le premier disque en solo de Jack White, on a l'impression étrange que c'est le dixième ; l'effet de surprise joue ici encore moins qu'ailleurs. "Blunderbuss" est un disque super solide, dans lequel Jack enchaîne avec précision et variété des tours de magicien qu'il commence peut-être à trop bien connaître.
Dès "Sixteen saltines", il s'amuse par exemple à transformer un riff simplissime - qu'aucun guitariste de son niveau n'oserait poser sur disque - en machine de guerre, appuyant les power chords par la basse et la batterie pour obtenir un impact maximal : c'est redoutable d'efficacité, mais y croit-il vraiment ? Volontiers prosélyte d’une conception artisanale de la musique, Jack White a passé du lo-fi charmant des débuts des White Stripes (dissous en 2011) aux supergroupes Raconteurs et Dead Weather ; le son s'est épaissi, alourdi, gagnant en force de frappe – plus de muscles, moins de nerfs. "Blunderbuss" est en comparaison varié et léger, acmé musicale d’un rêve ultime qui semble être de produire un équivalent à "Led Zeppelin IV" (1971).
Le début du disque est à la limite de la démonstration : un dosage de titres électriques ("Sixteen saltines", "Freedom at 21" épicé par quelques inflexions de chant RnB), acoustiques (le duo classieux mid-tempo "Love interruption"), ouvragés ("Blunderbuss", balade qui aurait pu figurer sur un disque des Raconteurs). Présent à tous les postes avec la même densité, c'est quand Jack White s'installe au piano qu'il se libère et imprime à son disque une identité mouvante mais véritable : ambiance Rolling Stones sur "Hypocritical kiss" ou "I guess I should go to bed" (genre "You can't always get what you want"), électrique et ampoulée ("Weep themselves to sleep"), psychédélique ("On and on and on"), rauque et rampante ("Trash tongue talker"). Comme il l'a déjà montré avec les White Stripes ("Conquest", ou "Hotel Yorba"), White sait dégonfler la baudruche au bon moment (le récréatif "I'm shakin", reprise du chanteur R&B Little Willie John).
"Blunderbuss" est à la fois ce que Jack White a produit de plus accessible, voire mainstream, mais aussi de plus long en bouche. Derrière un savoir-faire qui force l'admiration, on croit sentir poindre quelque chose de légèrement distant, qui pourrait indiquer la fin d'une époque. Mais on a peut-être totalement tort, et il se pourrait bien que "Blunderbuss" aie l'étoffe d'un futur classique.