Bassiste de jazz, piqué par le virus du rhythm and blues à l'écoute de Wilson Pickett,
Nino Ferrer fut un des artistes français les plus authentiques des
années soixante, à ranger au sein de ceux qui, fort peu nombreux dans ces années-là
(Dutronc, Hardy, Polnareff,
Antoine...), écrivaient eux-mêmes leurs chansons. Starisé grâce à
d'efficaces et drôles chansonnettes gadgets ("Le telefon", "Mirza"...),
Nino était un doux dingue de l'écriture ("Madame Robert", "Je vend des
robes"...), humain et sensible, doublé d'un musicien à l'âme
profondément noire. Il reste à ce jour le seul blanc qui soit parvenu à sortir la tête haute d'une adaptation de James Brown ("It's a man's man's man's
world" devenue "Si tu m'aimes encore", sur l'album
enregistré en public à Dijon).
Mais Nino Ferrer eut une vie après ces années tubes et en avait plus que marre qu'on ne lui réclame
que ses titres des années soixante, clamant que si le succès médiatique
l'avait quitté depuis longtemps, il n'avait pas pour autant cessé
d'écrire et d'enregistrer. De fait, sa vie musicale devint plus aventureuse, une vie de groupe (au sens rock), progressive et bluesy, qu'il tenta sans grand succès de faire connaitre, s'acharnant à convaincre des maisons de disques de plus en plus sceptiques (Barclay, puis Warner, puis le petit label parisien Free Bird), enregistrant des albums (dix-sept entre 1970 et 1995) et qu'il finira par produire lui-même, dans son propre studio, s'endettant et se ruinant.
Nino
Ferrer s'est tiré une cartouche de fusil de chasse en pleine tronche à l'été 1998.
Ce coffret anthologie s'articule en trois 3 Cd. Si le premier est logiquement
consacré aux années soixante et aux tubes ("Si tu m'aimes encore" en est malheureusement absent), le deuxième Cd offre treize titres de
"l'autre Nino", celui des musiques ouvertes au jazz ("Métronomie", "Moby Dick"...), des aventures planantes ("Cannabis"), des prémices de la musique du monde ("Bloody flamenco") et de l'expérimentation ("Looking for you", "Ouessant", "Mint Julep", "Mashed potatoes"...), autant de chansons célébrant pour l'éternité un certain art de vivre.
Le troisième Cd est une compilation de vingt-trois morceaux, essentiellement des reprises
de Ferrer enregistrées par d'autres au fil du temps. Le spectre en est du coup ultra-large, de Manu Dibango avant la gloire ("Je veux être noir"
instrumental 1967) aux Bellrays (excellente reprise des "Cornichons" 2003),
passant par un vieux Dalida ("C'est irréparable" 1965) et la version flamande
punchy de ""Ho! Hé! Hein! Bon!" ("Ho! He! Wat! Goed!" par The Waistcoasts 2005). Au fil des titres, du bon : le classieux "Scopa" par Rodolphe Burger et Nilda Fernandez (2018), la très fidèlement brésilienne "Rua Madureira"(Stacey Kent 2017), un surprenant "Mirza" par les habituellement très distingués Musica Nuda (2011), un beau "Rondeau" que Daniel Darc avait repris en 2005, "PLay boy scout" issu de l'album de Nino avec Radiah Frye en 1975, une agréable version an anglais de "Le sud" (Lola Marsh 2017), mais aussi du moins bon, une trop prévisible "Mirza" par Arno (2005) ainsi que les habituels et agaçants pique-assiettes es-compilations (M, Arthur H...).